Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 2.djvu/489

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Un de ces derniers jours, à Londres, dans cette heureuse Angleterre à laquelle M. Gladstone laisse d’opulentes finances, le nouveau chancelier de l’échiquier, sir Statford Northcote, recevait une députation de brasseurs venant lui demander une diminution de la taxe sur la bière. « Bien, répondait avec bonne humeur le chancelier de l’échiquier, mais je viens de recevoir une députation d’agriculteurs me demandant de dégrever le malt et de charger la bière qu’en pensez-vous ?   » Les brasseurs ne furent pas de cet avis. C’est l’éternelle histoire : la propriété veut généreusement imposer l’industrie, qui rejette le fardeau sur l’agriculture ; le sucre se décharge sur le sel. Le malheur est que nous n’avons pas des excédans comme l’Angleterre, qu’il faut tout voter en définitive, parce qu’il faut faire face au déficit, et un des esprits les plus nets, les plus décidés de l’assemblée, M. Bocher, avait certes raison de le dire l’autre jour : « Il n’y a plus ni système ni rien ; il n’y a plus maintenant qu’une règle, la nécessité ; — plus qu’une mesure, la possibilité ! » Tout est là en effet, il faut payer. Après cela, on peut certainement choisir entre les impôts, et puisque dans cette discussion même certains inventeurs ont déployé un tel luxe d’imagination, puisque M. de Belcastel et M. de Lorgeril se sont mis de la partie pour aider de leur génie M. le ministre des finances, pourquoi n’ont-ils pas proposé un impôt sur les titres, même sur les décorations civiles ? Il y a en France bon nombre de titres, les uns fort légitimes, les autres de fantaisie, il y a encore plus de décorés de toute sorte. Pourquoi les uns et les autres ne paieraient-ils pas une redevance à l’état ? Le travail, l’industrie, le commerce, tout paie, tout est soumis à la charge commune ; c’est bien le moins qu’on demande à la vanité le prix des titres et des rubans dont elle se pare. Qu’on ne craigne point, elle ne se cachera pas pour se dérober à l’impôt, et même elle paiera deux fois plutôt qu’une pour se donner un bon air, pour n’être pas soupçonnée d’avoir des contrefaçons de décorations et de titres. Nous ne répondons pas que l’impôt fût encore bien productif ; mais il produirait toujours autant que les taxes sur les pianos, sur les chapeaux et sur les photographies qu’on a proposées.

Au demeurant, après avoir passé par bien des détours, après s’être égarée dans bien des minuties ou bien des conflits d’intérêts, elle va finir, cette longue et confuse discussion ; elle finit comme elle a commencé par un acte de soumission à la nécessité, par le vote résigné des impôts dont M. Magne a besoin pour remplir son trésor, qui est le trésor de la France. Elle laisse du moins une impression qui doit survivre au vote, c’est que tous ces impôts, qu’on a raison de voter, puisqu’ils sont nécessaires, ne sont cependant qu’un expédient d’une efficacité partielle et transitoire, c’est qu’il faudrait en venir, non pas à remanier dans son ensemble un système financier qui a démontré sa puissance, mais à revoir certaines parties, à chercher des ressources là où s’est créée une