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séparation et leur autonomie. La France de 1830 n’avait aucune de ces bases historiques et ne se prêtait à aucune combinaison semblable; l’unité avait été l’œuvre lente, mais définitive de son histoire. Elle était et elle resta monarchique en 1830 malgré ses luttes révolutionnaires avec son ancienne monarchie, et malgré les coups que, soit en l’attaquant, soit en se défendant contre elle, elle lui avait elle-même portés.

En embrassant en 1830 la cause de la monarchie constitutionnelle, M. Vitet se conformait donc au vœu de son pays autant qu’à sa propre pensée. Je l’ai déjà dit et je prends plaisir à le redire, il le fit avec un désintéressement, un amour du vrai et du bien qui est de tout temps fort rare; il n’apporta dans la vie publique point d’ambition du pouvoir et des honneurs, point d’amour-propre impatient et rival, point d’effort pour obtenir le succès populaire. Plus il observa et réfléchit, plus il demeura convaincu que le meilleur gouvernement pour notre temps et pour la France, c’était le régime qu’assez improprement chez nous on a appelé parlementaire, le pouvoir exercé, de concert avec le roi, mais sous leur propre et publique responsabilité, par les représentans les plus éminens et les plus éprouvés des principes d’ordre et de liberté inscrits dans la charte du pays et livrés dans les chambres à de constans débats. M. Vitet travailla sans relâche à la formation d’un tel gouvernement en le laissant incessamment soumis à la critique et à la concurrence de ses rivaux. Quand il crut le voir formé, il se dévoua à le soutenir, sans aucune prétention personnelle, à travers les difficultés et les luttes de la politique quotidienne. Il apporta dans cet assidu et modeste travail une habileté loyale et prudente, s’appliquant à prévenir les dissentimens entre ses amis conseillers de la couronne, à écarter les rivalités, à éclaircir les malentendus, à dissiper les ombrages et les doutes qui s’élèvent aisément, même entre des hommes en général sympathiques et engagés dans la même cause. Il excellait dans cet art délicat, et il exerçait ainsi dans le gouvernement une influence d’autant plus efficace qu’elle était moins aperçue.

Pendant qu’il s’acquittait ainsi, dans sa vie publique, d’un rôle librement limité, il lui arriva dans sa vie privée un grand bonheur bien justement mérité; le 30 octobre 1832, il épousa Mlle Cécile Perier, fille de M. Scipion Perier et nièce de M. Casimir Perier, qui venait de mourir cinq mois auparavant dans toute sa gloire, car il avait su rétablir l’ordre sans attenter à la liberté. C’était ce qu’on appelle dans le monde un bon mariage; à l’épreuve, il fut excellent. Mlle Perier était belle, sérieuse, passionnée et digne, capable de comprendre et de conquérir son mari. Pendant vingt-cinq ans, ils