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le plus rigide : c’était celle des huguenots français, des puritains d’Ecosse et d’Angleterre; les doctrines plus douces d’Arminius avaient trouvé créance dans la bourgeoisie aisée des villes. La guerre avait longtemps étouffé les germes de ces dissensions; mais dès que la trêve militaire fut signée, la trêve religieuse fut dénoncée. Si aujourd’hui même, dans notre vieille Europe, il semble impossible de séparer l’église de l’état, cette séparation ne pouvait se faire dans un temps où les états luttaient entre eux au nom de la foi. Le protestantisme avait couru, comme une traînée de poudre irrégulière, à travers l’Allemagne, découpée en une multitude de principautés, et chaque prince, si petit qu’il fût, se croyait le droit de dire : cujus regio ejus religio. L’Angleterre n’était sortie de l’orthodoxie catholique que pour entrer dans une orthodoxie anglaise. Il fallait bien que la Hollande eût son orthodoxie, qu’Arminius triomphât de Gomar, ou Gomar d’Arminius. Deux hommes seuls, les deux conducteurs politiques de la France et de la Hollande, eurent le rêve de la parfaite tolérance, et l’un finit son rêve sous le poignard, l’autre sur l’échafaud. Henri, qui allait à la messe, se souvenait du prêche. Barneveld, tolérant jusqu’au scepticisme, avait pris pour devise, comme son grand-père : nil scire tiitissima fides. Il tenait pour la religion protestante, mais voulait réserver premièrement l’indépendance religieuse de chacune des Provinces-Unies, en second lieu les droits souverains de l’état sur l’église. Le gouvernement des petites églises hollandaises appartenait par moitié aux clercs, par moitié aux laïques; les fanatiques voulaient le donner tout entier aux pasteurs, non pas afin de rendre l’église indépendante du gouvernement civil, mais dans le dessein de subordonner le gouvernement civil aux docteurs. Ils prétendaient établir une théocratie calviniste. Les formules théologiques couvraient encore ici l’hostilité naturelle entre la riche bourgeoisie, qui voulait garder le gouvernement des églises et des synodes, et le peuple, mené par les prêcheurs, jaloux de toute autorité qui n’était point spirituelle.


II.

Nous venons de montrer quels germes de discordes fermentaient dans cette petite république, qui venait de jouer un si grand rôle dans les affaires de l’Europe. Henri IV lui en destinait un plus grand encore. Personne plus que le roi de France n’avait admiré la politique de Barneveld. Sully, d’esprit plus implacable, trouvait que les Provinces-Unies avaient eu tort de consentir à la trêve; le vieux huguenot tenait ferme pour la cause protestante, il harcelait sans cesse le roi, lui montrant qu’après des années du règne le plus glorieux et le plus prospère il était toujours entouré d’ennemis; la reine