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les eaux endormies, jusqu’à ce vaste ciel traversé de nuées, qui de toutes parts semble envelopper l’homme et le détacher de la terre.

« Quand l’avocat, dit M. Motley, brisé par l’âge et sa vie de travail, et appuyé sur sa canne, entra dans la chambre qu’on lui avait donnée, après avoir péniblement monté le raide escalier, il fit cette remarque : « C’est ici l’appartement de l’amiral d’Arragon. » C’est là en effet qu’après la bataille de Nieuwport Maurice avait logé son principal prisonnier. Il y avait dix-huit ans de cela : de ses fenêtres, l’avocat de Hollande voyait de l’autre côté de la cour les fenêtres de la « salle de la trêve, » où si souvent il avait reçu les ambassadeurs de tous les souverains d’Europe, celles de la salle des états, où sa parole grave avait tant de fois été entendue avec émotion et avec respect.

Il fut tenu au secret pendant sept mois, séparé de sa femme, de ses enfans; son procès commença enfin le 7 mars 1619. On avait pris pour former le tribunal six commissaires en Hollande et deux commissaires dans chacune des autres provinces. Tout était irrégulier dans la procédure. Barneveld avait été arrêté illégalement : d’après les anciennes chartes, la détention préventive n’aurait pas dû se prolonger au-delà de six semaines. Il n’y avait pas eu d’instruction; on n’avait pas donné d’avocat à l’accusé. On lui avait refusé tous les documens où il aurait pu trouver les élémens de sa défense.

L’acte d’accusation, un long manuscrit de 136 pages, découpé en 125 articles, est conservé dans les archives de La Haye. M. Motley laisse déborder son mépris et sa colère en remuant tant de mensonges accumulés contre un innocent. Il voit du sang sur cette poussière. Ne sachant où frapper Barneveld, les juges tournent autour de lui, cherchent le point vulnérable. C’est lui qui a permis à Arminius de corrompre l’université de Leyde, lui qui a défendu, soutenu l’hérésie de Vorstius, lui qui s’est toujours opposé au synode national, lui qui a poussé les cités à enrôler des mercenaires, lui qui a prétendu soustraire les gardes civiques à l’autorité du commandant de l’armée, lui qui a averti les échevins de Leyde de l’arrivée prochaine du prince, lui qui a encouragé Utrecht à la révolte, lui qui a diffamé le prince en disant qu’il aspirait à la couronne, lui qui a excité les provinces à la guerre civile. Les juges s’arrêtent pourtant, ils reculent devant l’accusation de haute trahison, ils n’osent. La défense de Barneveld fut telle qu’on pouvait l’attendre de lui; contraint de tirer tous les faits de sa mémoire, il parla plutôt comme un sage qui apprend l’histoire à ses contemporains que comme un accusé.

Du Maurier alla aux états, comme les ambassadeurs de France et