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son nom fût enseveli au-dessous du monument qui lui était destiné. Rarement héros a été mieux regretté et plus délicatement honoré.

Cette statue est de Foyatier, l’auteur du Spartacus des Tuileries, sculpteur à qui cette dernière œuvre a fait une réputation d’énergie, bien que sa nature le portât peut-être plus encore vers les sujets gracieux, ainsi que peuvent en témoigner plusieurs morceaux charmans que nous avons regardés avec plaisir au musée de Lyon. L’artiste a représenté le héros de Constantine dans tout le feu de l’action même où il reçut le coup mortel; la figure, pleine de vie et de véhémence, est lancée d’un mouvement plein d’énergie, des plis du manteau militaire l’épée jaillit soulevée par le bras d’un geste vif et ferme, la tête se retourne en arrière pour crier en avant, tandis que le corps, obéissant lui-même à cet ordre de la bouche, se précipite avec impétuosité dans la direction commandée. La furie du champ de bataille a été heureusement saisie et heureusement rendue; cependant, il faut bien le dire, ces qualités ont été payées du prix de réels défauts. Tout a été sacrifié à l’effet du mouvement, même la vérité, la nature, et ce que j’appellerai, faute d’un autre mot, la logique de l’anatomie. Il est absolument impossible que la tête qui se retourne n’entraîne pas une évolution analogue du reste du corps, et que les membres puissent marcher dans une direction si diamétralement opposée à celle du chef; on dirait une tête posée sur un pivot au-dessus du tronc, et pouvant tourner d’elle-même sans participation de son support. L’effet obtenu eût été peut-être d’une véhémence moins brusque, si la vérité anatomique eût été respectée; cependant je doute que l’artiste ait eu raison de n’en pas tenir compte, car il y a dans les attitudes commandées par cette logique en quelque sorte fatale du corps une harmonie de lignes dont toutes les violences faites à la nature ne compenseront jamais l’heureuse beauté. Peu importent ces défauts toutefois; cette œuvre possède un mérite plus haut qui les efface. Le sculpteur a intelligemment exprimé par cette figure l’originalité propre à notre armée d’Afrique à l’époque qu’on peut appeler l’époque héroïque, et le caractère particulier de cet assaut de Constantine, dont le roi Louis-Philippe put dire justement « que, si la victoire avait plus fait d’autres fois pour la puissance de la France, elle n’avait jamais élevé plus haut la gloire et l’honneur de ses armes. » Éloge mérité, car les Français de 1837 firent autant à Constantine qu’avaient fait leurs pères à Tarragone sous l’heureux Suchet. C’est à ce dernier siège en effet qu’on peut comparer sans crainte celui de Constantine pour l’énergie, l’opiniâtreté et la patience, s’il ne peut se comparer pour l’importance de la lutte et les proportions du théâtre à d’autres sièges mémorables. Ce qui distingua ce fait d’armes, c’est que