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qu’il est resté en dehors de la réorganisation ecclésiastique qui vient d’entrer en vigueur. Le canton de Neuchatel a longtemps conservé une position exceptionnelle, grâce au lien qui l’unissait naguère à la Prusse. L’église y formait une véritable corporation possédant ses biens et se gouvernant par son clergé. Depuis la révolution de 1848, il a fait disparaître de sa législation tout ce qui rappelait sa constitution aristocratique. Le gouvernement de l’église neuchateloise depuis 1848 avait passé du clergé au synode nommé directement par les paroisses, qui elles-mêmes avaient acquis le droit de choisir leurs pasteurs. Le gouvernement respectait les décisions synodales, et l’unité de la croyance était maintenue dans de sages limites. Les partisans de la séparation de l’église et de l’état étaient devenus assez nombreux pour qu’un projet de loi dans ce sens ait été proposé au grand-conseil en 1869 et n’ait manqué pour réussir que de quelques voix. La crise religieuse qui a travaillé partout le protestantisme contemporain avait éclaté à la même époque dans ce canton, mais elle n’avait amené que de pacifiques débats et point de conflits avec le pouvoir civil. On ne peut s’expliquer les motifs qui ont poussé le conseil d’état neuchatelois à proposer au printemps dernier un projet de réorganisation ecclésiastique imbu des mêmes principes que celui de Berne. L’exposé des motifs déclare que l’église nationale appartient à tous et que l’on en fait partie de naissance. Dès l’abord, toute condition religieuse est exclue. « L’unité de doctrine, ajoute l’exposé, est tout ce qu’il y a de plus opposé à la notion d’une telle église. En conséquence, les paroisses ne sont plus des groupes religieux, ce sont de simples circonscriptions territoriales. » Tout protestant de naissance est électeur, eût-il renié avec éclat la foi chrétienne. La majorité de chaque paroisse choisit la doctrine qui lui plaît davantage, et la fait enseigner par le pasteur. Il est spécifié que celui-ci ne saurait être soumis à aucun credo qui lie sa liberté d’enseignement. Au bout de six ans, il est soumis à la réélection. Il n’est pas nécessaire qu’il ait reçu la consécration au saint ministère; il passe, comme on l’a dit, à l’état de simple orateur communal. Le conseil d’état est la véritable autorité ecclésiastique chargée de faire marcher toute l’organisation. Le char de l’église démocratique a pourtant une cinquième roue, c’est le synode, qui est chargé d’en représenter toutes les contradictions sans avoir un seul pouvoir sérieux.

Ce projet a soulevé la plus vive agitation dans le canton de Neuchatel. Une minorité fortement soutenue par l’opinion proposa au grand-conseil un contre-projet ainsi conçu : « chaque église ou association religieuse se constitue librement par le concours des personnes qui veulent en faire partie, sans autres restrictions que