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mens ; mais tous portaient la cravate, la chemise, le gilet européens, et jusqu’au chapeau de feutre mou, qui défigurait affreusement ces visages cuivrés. La couverture de laine, bleue ou rouge, que l’on jette sur les épaules ou qu’on serre autour de la taille, remplaçait la robe indigène velue en peau de bison. Le pantalon de drap, dont ils enlèvent toujours le fond, ce qui fait de singuliers hauts-de-chausse, avait détrôné chez quelques-uns les jambières en peau de daim ou bas de cuir. Il n’y avait presque pas de différence entre le costume des hommes et celui des squaws. Tous les Indiens étaient chaussés de mocassins ou sandales en peau de daim, ornées par les femmes de dessins élégans faits de perles enfilées. Tous avaient aux doigts de nombreuses bagues et portaient diverses parures en métal, en os, en coquilles nacrées, au cou, sur la poitrine, aux oreilles, — tout cela travaillé par les artistes indigènes et d’un goût fort original. Le Chien-Rouge se faisait remarquer par une énorme paire de pendeloques en argent, de forme étrange ; c’étaient des roues dentées à six rayons, mesurant au moins 10 centimètres de diamètre, et qui tombaient de ses oreilles sur son épaule. Chez tous, les longs cheveux noirs étaient divisés en deux tresses, chacune pendant sur le côté, enroulée dans une bandelette de drap, comme la queue dorsale des Chinois. La raie sur le milieu de la tête était, selon l’usage, peinte en vermillon. Une petite queue tressée descendait par derrière, et celle-ci était libre ; c’est la queue du scalp, celle que le guerrier arrache avec la peau du crâne, quand il a tué son ennemi à la guerre ; il la porte alors comme un trophée, comme une décoration. Celui qui, dans un combat, a pris beaucoup de ces scalps est bien près d’être nommé chef. On avait laissé pour ce jour-là ces hideuses chevelures au logis (on ne les montre jamais aux blancs, quand on est en paix avec eux).

Le président de l’assemblée était le vénérable M. Peter Cooper, à la générosité duquel on doit la fondation du Cooper-Institute, cette magnifique école technique libre, dans une des salles de laquelle se tenait la réunion. Quand le calme se fut établi et que, suivant la coutume américaine, les sachems eurent été présentés à l’auditoire par le président, la Nuée-Rouge se leva pour parler. Par exception et pour cette fois seulement, on ne fuma pas en rond le calumet avant de prendre tour à tour la parole ; on laissa les Peaux-Rouges fumer tout seuls. Le discours de la Nuée-Rouge fut prononcé dans la langue harmonieuse des Sioux, d’une voix lente, sonore, cadencée, accompagnée de gestes nobles, quoique nombreux. L’orateur s’anima peu à peu. Jusque-là, sa figure sévère ne s’était aucunement déridée, et tandis que son premier lieutenant, le Chien-Rouge, avait quelque peu plaisanté avec « les visages--