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On en trouverait la preuve dans l’ample moisson qu’il rapporta d’un voyage entrepris à travers les Pouilles et la Calabre pour rassembler les élémens d’une publication archéologique qui devait être jointe à l’Histoire, par M. Huillard-Bréholles, des Normands et de la maison de Souabe dans l’Italie méridionale. Un homme dont le nom se rencontre toujours si honorablement mêlé aux grandes tâches accomplies de notre temps dans le domaine de l’érudition ou de l’art, M. le duc de Luynes, avait eu la pensée de cette publication. Le sujet était absolument neuf, les monumens de la Basse-Italie ayant été jusqu’alors ou dédaignés par les archéologues ou regardés par eux comme à peu près inabordables, en raison des difficultés de plus d’une sorte qu’aurait entraînées un essai d’exploration; mais, ce programme une fois arrêté, restait à trouver un jeune artiste assez expérimenté déjà pour qu’on pût se reposer sur lui du soin d’en remplir les conditions et en même temps assez résolu pour braver des fatigues certaines, peut-être, le cas échéant, des dangers. Le duc de Luynes demanda conseil à Ingres, qui s’empressa de lui désigner Baltard. Celui-ci partit donc bien décidé à se montrer digne de la confiance qu’on mettait en lui, et qu’il devait en effet justifier même au-delà de ses propres espérances. Lorsqu’il revint à Rome après une absence durant laquelle, comme il le disait, il n’avait eu, malgré plus d’un accident de santé et plus d’une rencontre au moins suspecte, « ni le temps d’être malade, ni le temps d’avoir peur, » le nombre des dessins qu’il rapportait dépassait presque de moitié celui qu’avaient paru promettre les renseignemens recueillis d’avance sur les trouvailles à faire et sur les lieux à visiter. Inutile d’ajouter que les clauses du contrat primitif se modifièrent en proportion. Ainsi qu’un écrivain bien informé, M. Timbal, le rappelait récemment dans une touchante notice nécrologique, « le Mécène fut aussi généreux que l’avait été l’artiste, » et Baltard, deux fois heureux, deux fois riche, puisqu’il avait réussi à augmenter le trésor de son savoir personnel et les ressources de sa famille, Baltard, rentré sous son paisible toit, se remit à la besogne, l’esprit plus dispos, le cœur plus léger que jamais.

Cependant le moment allait venir où il faudrait quitter avec Rome cette douce vie de travail désintéressé et de contemplation studieuse, où la lutte s’engagerait forcément non plus dans la pure sphère des idées, mais sur le terrain des questions pratiques et des affaires. Encore quelques mois, et tout sera fini de ces années intermédiaires entre l’époque où l’on a cessé d’être un apprenti et celle où il s’agit bon gré mal gré de montrer qu’on est passé maître. Adieu la discipline tutélaire sous laquelle on s’abritait encore, et qui, sans supprimer la responsabilité de chacun, en diminuait au moins les périls; adieu aussi ces rêves en commun, cette heureuse