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voulût même se souvenir. A aucune époque, il n’essaya de se venger de Visconti en médisant de son talent ou en usant de sa propre influence pour diminuer ou compromettre la sienne. Jamais il ne se déroba au devoir de louer, quand l’éloge était légitime, l’architecte auquel la faveur, au moins autant que la justice, avait attribué la grande tâche qui avait failli lui échoir à lui-même, et l’un des derniers jours de sa vie encore, par les dernières paroles qu’il devait prononcer en public[1], il signalait dans les œuvres de Visconti des mérites qu’un autre à sa place n’eût pas peut-être proclamés d’aussi bonne grâce, ni reconnus au fond d’aussi bon cœur.

Les suffrages dont Baltard avait été honoré par les membres de la commission et le commencement de notoriété que le projet exposé avait valu à son nom n’eurent en somme d’autre conséquence que la nomination du jeune architecte au poste de sous-inspecteur des travaux de reconstruction de la Halle aux vins. Pour qui avait pu, quelques jours auparavant, rêver la mission de construire un monument héroïque, c’était tomber bien brusquement des sphères de l’idéal sur l’humble terrain de la réalité. Baltard pourtant ne fut pas étourdi de la chute. Heureux de trouver, faute de mieux, du travail, il se résigna vaillamment à servir en sous-ordre, en attendant que le moment vînt pour lui de faire acte de chef à son tour. Bien lui en prit, car, au bout de quelques mois, le zèle qu’il avait montré dans ses modestes fonctions lui valut d’être appelé à des occupations plus dignes de lui. Les travaux entre autres qu’il exécuta, avec le concours de son ancien condisciple Simart, pour la décoration de la barrière du Trône, le mirent si bien en crédit auprès de l’administration municipale que celle-ci lui confia le soin de diriger toutes les entreprises ayant pour objet l’entretien, la restauration ou l’embellissement intérieur des diverses églises de Paris. Il convient d’ajouter que cette importante charge, Baltard ne la devait pas seulement aux muets témoignages de son talent ou aux services qu’il avait déjà rendus. Un membre du conseil municipal alors justement influent, un artiste dont le nom, inséparable de celui d’Ingres, a aussi inévitablement sa place dans les souvenirs des premiers encouragemens reçus, des premières grandes tâches accomplies par les principaux élèves du maître, M. Gatteaux, provoqua en faveur de Baltard la décision dont il s’agit, comme à peu près à la même époque il obtenait pour le pinceau d’Hippolyte Flandrin les murs, bientôt si noblement consacrés, d’une chapelle à Saint-Séverin et du sanctuaire de Saint-Germain-des-Prés.

Il ne serait point possible ici de suivre pas à pas Baltard dans la carrière qu’il fournit à partir de ce moment, tant comme inspecteur

  1. Notice sur l’École de Percier, lue dans la séance publique annuelle de l’Académie des Beaux-Arts le 15 novembre 1873.