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temps du second empire, dans la petite cour centrale. Certes au point de vue des convenances archéologiques, comme au point de vue de l’art lui-même et du respect des proportions, l’idée qu’avait eue l’administration municipale était assez étrange d’encombrer ainsi cet étroit espace, d’ajouter cette énorme et toute moderne pièce de rapport à un petit monument de la fin du XVIe siècle, — et cela non pour quelque nécessité du service quotidien, mais dans l’unique dessein de donner plus d’éclat aux fêtes dont l’Hôtel de Ville était à de certains jours le théâtre. D’autres que Baltard n’eussent pas volontiers consenti à tenter l’aventure; en tout cas, il ne semble guère possible qu’ils l’eussent menée à meilleure fin. Puisqu’il s’agissait seulement ici d’éblouir le regard et de combiner des effets pittoresques, on serait mal venu à critiquer les contours agités de cet escalier de parade serpentant, ainsi que les colonnes qui le soutenaient, au-dessus de deux étages de bassins d’où émergeait tout un peuple de statues et d’où jaillissaient çà et là des jets d’eau. On ne saurait sans injustice se montrer fort sévère pour ce tumulte de lignes, pour ce luxe de formes épisodiques, pour ces fantaisies difficilement acceptables, j’en conviens, partout ailleurs, mais qui, le thème une fois donné, avaient leur raison d’être ou plutôt leur place nécessaire dans une construction toute décorative, dans une œuvre moins architectonique par sa destination que théâtrale. C’est ce qu’on peut dire aussi de l’arc de triomphe, de la fontaine monumentale, des vastes portiques dont Baltard, à l’époque de l’inauguration du boulevard du Prince-Eugène, dut orner la place de la barrière du Trône pour la cérémonie à laquelle l’empereur présida. Là, comme dans la cour de l’Hôtel de Ville, il ne songea, et il eut raison de ne songer qu’à produire, par la richesse des élémens de composition, un effet correspondant à l’esprit de la solennité même. Il avait, en édifiant les Halles centrales, imprimé à l’ensemble et à toutes les parties du monument le caractère exprès de l’utilité; en face de tâches qui devaient tirer tout leur sens d’un principe absolument contraire, il ne se proposa d’autre but que la magnificence, et procéda résolument pour la seule satisfaction des yeux.

Qui sait au surplus? Peut-être cette extrême diversité dans les programmes était-elle pour l’imagination de Baltard un stimulant plus puissant et plus sûr que la grandeur même ou la beauté des sujets; peut-être son talent avait-il besoin, pour produire tous ses fruits, de changer ainsi d’atmosphère, d’être sans cesse sollicité au mouvement, à la lutte avec l’inconnu, avec l’inaccoutumé tout au moins. Il y a dans le monde des arts comme ailleurs deux sortes d’esprits, les esprits recueillis dont les facultés ne se développent qu’au sein des paisibles études, et les esprits faits pour l’action qui portent leurs habitudes pratiques jusque dans le domaine idéal et