Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 2.djvu/908

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Au sommet d’une croupe inaccessible de deux côtés se creuse un vaste entonnoir de 300 mètres de diamètre, couvert de châtaigniers, sans issue, au fond duquel on peut descendre par un sentier comme dans le cratère d’un volcan. C’est là que va se perdre sous terre le Kirifuritaki, tombant d’environ 100 mètres. La neige du sentier m’empêche de descendre au pied de la cascade, sous laquelle, paraît-il, on peut passer. La cascade est fort belle, vue de loin; mais ce qui est encore plus beau et ce qui surprend davantage, c’est la vue dont on jouit du haut de ce sommet, et qui, grâce à la sérénité du ciel d’hiver du Japon, n’est guère bornée que par les montagnes au-delà de Yeddo. Ce sont d’abord, à nos pieds, les pentes du massif du Nikko, à l’est les pics d’Aïdzu, puis un vaste plateau où circule un large fleuve, le Kinugawa, tributaire du Tonégawa, et grossi par le Kirifuritaki lui-même quand il sort des flancs de la montagne. Dans toute la largeur de ce plateau, on distingue une longue bande noire, c’est la grande avenue de segnis qui de Nikko descend pendant 25 lieues jusqu’au Tonégawa. Au-delà sont les pics de Kabasan et de Tskubasan, puis plus loin, au sud, une ligue indécise qui doit être le massif du Fusiyama; c’est vraiment une merveille. Le retour s’effectue plus vite que l’aller, et on retrouve avec bonheur, après une journée de kango et de piétinement dans la neige, le bain torride, un bon dîner et la natte japonaise.

Le 3 janvier, ascension à Tsinsendji; c’est le nom d’un des pics voisins du Nikkosan, plus élevé et plus dénudé; que lui, ainsi que d’un lac situé à 1,200 mètres ou plus au-dessus de la mer. C’est l’excursion obligatoire de Nikko. On m’avait exagéré les difficultés du trajet ; rassuré par les habitans, je partais à six heures du matin avec les premières lueurs de l’aube, ce qui me valut un splendide lever de soleil, empourprant la cime des montagnes devant moi. Je peux, sans me geler les pieds, rester dans mon kango, grâce à la précaution que j’ai prise de mettre par-dessus mes chaussures des bottes de paille fabriquées hier à ma mesure, à l’imitation de celles que portent les montagnards de Nikko.

On suit d’abord la vallée qui nous a amenés de Kosowo il y a quelques jours. En passant, je remarque un chantier que l’obscurité m’avait dissimulé. Ce ne sont cette fois ni des planches, ni des poutres, ce sont de véritables obélisques couchés, d’énormes troncs équarris, dont plusieurs mesurent jusqu’à 18 mètres. Le déboisement fait de terribles progrès dans ce pays; on se garde de reboiser et on marche peut-être à de véritables catastrophes.. Il n’en faut pas moins admirer ces magnifiques mâts et le travail primitif et ingénieux dont ils sont l’objet. Il s’agit de les conduire de la montagne au torrent qui doit les emporter au printemps. Pour cela, on a