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pavillon, et qu’on doit ramener au port où on les a pris, en dépit qu’ils en aient? Pour les pêcheurs et caboteurs, placés sous la main du syndic, parfois tenus d’acheter les cordages et les vivres chez ses cousins et petits-cousins, oseront-ils se brouiller avec un homme si puissant, qui a derrière lui toute la marine, tout l’état?

Le régime de l’inscription maritime a été adouci depuis 1863; mais il investit encore le commissaire dans son quartier, le syndic dans les moindres ports, d’un pouvoir exorbitant. Cet officier, qui dresse les listes d’appel pour le service de la flotte, qui exerce une surveillance constante sur toutes les démarches du marin, peut le citer devant son propre tribunal pour tous les délits qui se rapportent à la navigation. On fait valoir que le matelot, à l’âge de vingt-sept ans, recouvre une partie de sa liberté : mauvaise défense, qui ne détruit pas l’effet de la contrainte où il a été tenu jusque-là. On ne commence pas le métier à vingt-sept ans. Il en reste assez pour dégoûter un homme de la mer, si le syndic est bilieux. S’il est doux et paternel, le marin s’accoutume à se décharger sur lui de ses intérêts les plus graves, et, confiant dans le secours de l’état, il n’assure pas le sort de sa femme et de ses enfans. En un mot, on le façonne de bonne heure à cette insouciance proverbiale : qualité dans un soldat, défaut dans un maître d’équipage, qui doit assumer la responsabilité d’un commerce. Le syndic est tout-puissant sur la petite pêche, dont il exerce la police, et la petite pêche est la pépinière du long cours. Si l’on donne à cet officier plus d’autorité qu’au maire d’un village, qu’on la tempère au moins par le contrôle d’un conseil élu.

On s’étonne d’entendre répéter chaque jour que le premier objet du commerce est de faire des marins pour la flotte. Ainsi Marseille et Le Havre ne sont que des écoles pour Brest et Cherbourg. Allons-nous fortifier les côtes, et craint-on comme jadis une descente des Anglais? Si la marine du commerce n’est qu’une réserve pour les batailles navales, pourquoi favoriser la navigation de long cours? Le cabotage, la grande pêche et la marine subventionnée assurent à l’état le nombre d’hommes dont il a besoin ; 30,000 marins seulement font le long cours sur 150,000 inscrits. Si on prend chaudement l’intérêt de cette minorité, c’est pour le bien du commerce, non en vue du contingent, puisque 34,000 matelots suffisent à la flotte, suivant l’opinion d’un amiral. La raison militaire n’a rien à voir dans les affaires des marchands, qui se passeraient fort bien de la tutelle de l’état. Pourquoi le service naval serait-il plus exigeant que le service de terre? Quelles sont les frontières le plus exposées? et par quelle bizarrerie conservons-nous des institutions plus gênantes là où le péril est moindre? Fâcheuse confusion du