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les cotonnades anglaises feront donc le tour de Gibraltar sur des navires anglais, et n’auront point ainsi les frais du transbordement.

Bordeaux est un point de départ pour les deux Amériques. Grâce aux vins de France, il y passe un courant assez fixe, mais qui ne prend pas sa source à l’étranger. L’exportation de Bordeaux est toute française, car l’Espagne fournit plutôt un débouché qu’un aliment de fret. Le Havre, tourné vers les Amériques, propre à tous les commerces, devrait grandir chaque jour : il reçoit les produits de tout le territoire français qui franchissent l’Atlantique, et il peut disputer à Hambourg, Brème, Amsterdam, Anvers, le marché de l’Europe centrale. Les négocians de Suisse ou de Bavière ne sauraient gagner la mer sans emprunter les voies ferrées ou les canaux : or la distance est à peu près la même vers tous ces ports, et pour les canaux nous aurions facilement l’avantage en mettant les nôtres en état. En outre, à distance égale, Le Havre devrait avoir la préférence pour sa position, qui permet aux navires de passer promptement des eaux de la Manche dans celles de l’Océan; mais les Allemands, les Suisses, les Belges, se sont si bien entendus pour réduire leurs prix que le meilleur fret s’écoule par Hambourg, ou côtoie nos frontières jusqu’à Anvers. Chez nous, les voies ferrées ont un monopole qui nous coûte cher. Quelques négocians français, ceux d’Épinal par exemple, sont forcés d’oublier le chemin du Havre; ils rompent d’anciennes relations et traitent avec les maisons d’Anvers, car le transport est à moitié prix. Le Havre, qui pensait devenir le grand port américain du continent, voit avec chagrin Anvers, sa rivale, attirer à elle tous les pavillons du monde, creuser de nouveaux bassins, prendre enfin la tête d’un commerce qui devrait nous appartenir.

Pour les courans dont la source est en France, l’essentiel est de les grossir en produisant beaucoup et d’une certaine qualité. C’est la grande querelle de nos armateurs. Hs déclarent la France inhabile à produire ce qui fait la fortune de la marine, un fret lourd, encombrant, qui tient plus de place qu’il ne vaut. La valeur de la marchandise importe peu au maître du navire, car on le paie au poids et à l’encombrement. Aussi le voit-on se plaindre tous les jours du bon goût qui règne en France, et de cette manie de dépenser beaucoup d’argent sur des étoffes légères. Il accuse la nature qui ne nous a pas départi le charbon et le fer d’une main libérale, et qui donne aux fruits de la terre trop de valeur sous un petit volume. Dès lors, dit-il, comment pouvons-nous lutter avec les vaisseaux anglais, qui partent bondés de charbon, et qui rapportent sans effort un fret à moitié payé, tandis qu’il nous faut partir sur lest