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REVUE. — CHRONIQUE.

les plus sombres couleurs les misères, même, si l’on veut, les faiblesses de ce grand et généreux patient, au risque de laisser croire à une décadence presque irrémédiable.

Eh ! sans doute, les événemens ont fait à la France une condition dure ; ils l’ont placée entre tous les périls, sous le poids d’un fardeau accablant, en présence des insurrections, d’une occupation étrangère, d’une effrayante indemnité de guerre à payer et d’un gouvernement à reconstituer. Rien n’a manqué, la France a épuisé toutes les épreuves, et ce serait aujourd’hui une bien étrange méprise de se figurer que, parce que la convalescence n’est pas complète, parce qu’il reste encore des traces de ces terribles crises, parce que les forces du malade ne sont pas entièrement revenues, le pays a besoin de tous ces médecins qui accourent avec leurs offres de guérison miraculeuse. Ce qui a été accompli jusqu’ici, la France l’a fait en vérité par elle-même, par l’énergie de sa constitution intime, par la bonne volonté de vivre, en dehors de tous ces partis turbulens, frivoles, aveugles, arrogans, — et remarquez bien ceci : toutes les fois que ces partis ont voulu intervenir, ils n’ont réussi qu’à interrompre, à compromettre l’œuvre réparatrice en offrant le spectacle de leurs prétentions et de leur impuissance. Dans cette laborieuse histoire de trois années, c’est toujours le pays qui est calme, patient, non sans anxiété quelquefois, mais acquis d’avance à toutes les solutions raisonnables qui ne l’entraînent pas dans des aventures, prompt à se remettre au travail dès qu’on lui laisse un peu de paix ; ce sont les partis qui s’agitent dans un intérêt de domination, qui cherchent dans les crises publiques une occasion de triomphe, et s’ils redoublent d’impatience aujourd’hui, s’ils semblent disposés à livrer une dernière bataille au risque de tout ébranler, c’est précisément parce qu’ils sentent que la France leur échappe, parce qu’ils commencent à s’apercevoir qu’ils ne peuvent plus même compter sur un gouvernement dont ils ont espéré se servir.

On a beau s’efforcer d’émouvoir le pays, le menacer de la perdition et de l’abîme, le pays ne se sent ni si menacé d’être perdu, ni si pressé de se rendre aux arrogantes sommations des partis. Sans méconnaître les dangers qu’on lui crée ou qu’on aggrave et qui le troublent, il garde malgré tout une certaine foi en sa propre vitalité, en ses destinées. Ce qu’il a commencé, il ne demande pas mieux que de le continuer dans les mêmes conditions, sans esprit exclusif, par le concours de toutes les bonnes volontés. Que veut-on de plus ? quelle étrange prétention de vouloir lui faire croire qu’il va mourir, s’il ne se fait pas légitimiste ou bonapartiste, s’il s’obstine à repousser les bienfaits d’une constitution d’octroi royal ou d’un plébiscite impérialiste ! La France reste la France, même quand elle n’a pas d’autre étiquette. Elle pratique spontanément et sans le savoir cette politique qu’un des hommes les mieux inspirés du ministère, M. de Fourtou, résumait ces jours derniers encore, tout