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conditions manquait, et elles pouvaient manquer, elles manquaient toutes. Je ne veux d’autre preuve que ce fait : le général de Palikao suppose, pour le succès de son plan, que l’armée de Châlons aurait dû partir le 21 août, et ce jour-là le 5e, le 7e corps débarquaient à peine, ils arrivaient exténués, certainement hors d’état de se mettre en route sur-le-champ. Avant le départ, les contre-temps commentaient. Au moment où l’on serait arrivé, vers le 25 ou le 26, on serait infailliblement tombé sur le prince de Saxe, qui était déjà en avant de la Meuse, ayant ses forces concentrées dans un rayon peu étendu, pouvant de plus compter tout au moins sur l’appui des deux corps bavarois de l’armée du prince de Prusse, que leur ligne de marche tenait assez rapprochés. — Se porter sur Montmédy par Stenay, c’était encore fort bien, à la condition de réussir à tromper la surveillance de la cavalerie allemande, qui battait déjà l’Argonne. Si on ne réussissait pas, l’armée française avait la chance de se trouver d’un instant à l’autre dans un étroit espace entre la Meuse et la frontière belge, serrée de près par les forces allemandes, qui se détourneraient momentanément de Paris pour se replier sur elle. — Se jeter sur le prince royal de Prusse pour tenter de le surprendre isolément, c’était bientôt dit. La IIIe armée allemande ne comptait pas moins de 150,000 hommes. Il fallait donc aborder cette masse en s’exposant du même coup à être assailli par l’armée du prince de Saxe, accourant de son côté sur nous avec ses 80,000 hommes. Voilà la vérité des choses, que le général de Palikao méconnaissait ou ignorait lorsqu’avec ses imaginations et ses hardiesses à la Dumouriez il proposait de si singulières et si terribles parties.

Ni l’empereur, il faut le dire, ni surtout le maréchal de Mac-Mahon, ne partageaient les illusions du ministre de la guerre, quoiqu’ils se crussent obligés d’en tenir compte. L’empereur, réduit à un rôle tout passif d’ostentation suprême et d’embarrassante inertie, restant au camp comme si c’était désormais le seul lieu où il pût rester, l’empereur flottait entre l’opinion du général Trochu, qu’il avait paru sanctionner le 17, qui répondait à sa propre pensée, et l’opinion du général de Palikao, à laquelle il avait l’air de se rendre le 18. Le-maréchal de Mac-Mahon résistait de toute la force de son bon sens aux combinaisons qu’on voulait lui faire exécuter, et si dans un premier moment, pressé de sollicitations, il écrivait à Paris que le gouvernement pouvait compter sur lui, qu’il « ferait tout pour rejoindre Bazaine, » cela voulait dire simplement qu’il ferait ce qu’il pourrait, qu’il attendrait les événemens. Il attendait en effet, plein de perplexité, impatient de voir clair et de se fixer. Il s’adressait à Paris, au ministre de la guerre, qui lui envoyait plus d’excitations et de plans de campagne que d’informations. Il