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précieux à garder, c’est-à-dire nos marins et nos soldats. Le traité que nous venons d’obtenir de l’empereur Tu-Duc est déjà un fait considérable dont il faut savoir apprécier la valeur : M. L. de Carné, cette première victime de l’Indo-Chine, ne réclamait point autre chose lorsqu’à la fin de 1867 il arrivait avec la mission de M. Lagrée, dans le Yunnan, en vue du Fleuve-Rouge.


I

C’est le 25 octobre 1872 que deux bateaux à vapeur français, le Louakai et le Hoong-kiang, remorquant une petite chaloupe à vapeur, quittèrent la rade de Hongkong pour le Tonkin. L’expédition était commandée par M. Dupuis, résidant habituellement à Hankow ; pour second, notre compatriote avait choisi un autre Français, M. Millof, négociant à Shanghaï. Le chargement se composait de munitions de guerre, de canons, de boulets, de poudres, de fusils Chassepot et de revolvers ; le tout devait être remis au « maréchal » Mah, commandant en chef l’armée chinoise qui combattait alors l’insurrection musulmane dans la province de Yunnan. Atteindrait-on le but indiqué en traversant par des voies fluviales tout le Tonkin ? Personne n’osait l’affirmer à Hongkong ; les Anglais ne le croyaient pas. On n’en partit pas moins comme s’il s’agissait de parcourir une route longtemps fréquentée.

Le 9 novembre, les deux bâtimens arrivaient sur les côtes du Tonkin, à l’embouchure du Cuacum, nom d’un fleuve qui devait, d’après les informations obtenues des indigènes, communiquer dans la direction d’Hannoï avec le Song-koï. M. Dupuis avait à peine jeté l’ancre qu’on vint lui annoncer la visite d’un commissaire royal, le fameux Li, ministre des affaires étrangères à Hué et ancien ambassadeur de cette cour à Pékin. Li s’opposa naturellement à l’entrée des bateaux dans le fleuve, mais, sur les protestations énergiques de M. Dupuis, le haut dignitaire annamite promit d’en écrire à Hué et d’apporter une réponse dans un délai de quinze jours. Pour ne pas se créer de sérieux ennuis dès le début du voyage, l’expédition dût consentir pendant tout ce temps à ne pas changer de place.

L’embouchure du Cuacum est défendue par quelques forts qui purent autrefois être redoutables, mais dont on ne peut aujourd’hui que constater les ruines et l’impuissance. Avant 1865, il s’y faisait un grand commerce de denrées et d’armes ; comme c’était sur ce point de la côte que les rebelles annamites s’approvisionnaient de mousquets et de poudre pour combattre leur souverain, Tu-Duc prit le sage parti d’en fermer le port. Les négoces se sont depuis portés sur Trali, où l’on rencontre maintenant les neuf dixièmes des jonques qui trafiquent entre Canton, Macao, Hongkong et les autres