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1874, M. Senez, commandant le navire de guerre français le Bourayne, rencontrait encore notre compatriote, toujours préoccupé de son installation, près des embouchures du Cuacum.

Les services rendus au gouvernement annamite par la chasse terrible que M. Senez fit à cette époque aux pirates sont trop considérables pour être passés sous silence. Tu-Duc doit au commandant français de l’avoir délivré d’un millier de bandits qui bloquaient ses ports depuis quatre mois, et nous lui devons de nous avoir fait connaître tout le littoral de la province du Tonkin. Parti le 5 octobre 1873 de Saigon, le Bourayne, après avoir doublé le cap Padaran, se dirigea vers Vung-gang, situé à quatre milles au sud. Les ressources de cette petite ville sont à peu près nulles ; la pêche est la seule industrie des habitans, tourmentés par les tigres qui rôdent à deux pas de leurs maisons, comme le sont les autres indigènes dans la plupart des ports de la côte. On y rencontre aussi beaucoup de bœufs sauvages et d’éléphans. L’habitant n’a d’autre moyen de les éviter que de se barricader la nuit chez lui et de n’en plus sortir qu’au lever du soleil. L’empereur d’Annam préfère voir dévorer un à un ses sujets par les bêtes féroces et laisser détruire leurs récoltes que d’autoriser les Annamites à posséder des armes, qu’ils pourraient tourner contre lui une fois les fauves détruits. De Vung-gang, le bâtiment français alla reconnaître le mouillage d’Hannoï, et vint jeter l’ancre devant le village de Mush-huan. Là, les indigènes vinrent offrir de petits chevaux en grand nombre à nos marins, qui n’en savaient que faire ; le prix de ces chevaux varie de 30 à 120 francs. Il s’y trouve des bœufs qui donnent de 115 à 120 kilogrammes de viande abattue pour la modique somme de 20 francs. Le reste est à l’avenant. Plus haut, dans la baie de Hone-cohé, les cerfs sont très abondans ; singulièrement curieux, ils accourent comme des animaux apprivoisés. Pays de cocagne pour le chasseur, si les tigres n’y dévoraient un ou deux indigènes par semaine ! Il n’y a qu’un puits d’eau douce à Hone-cohé, inépuisable, il est vrai.

De Hone-cohé, le Bourayne alla se présenter devant la rade de Hone-ko, qu’il contourna sans y mouiller ; c’est un des plus beaux et des plus sûrs ancrages de cette côte, si riche en ports et en baies. La capitale de la province de Binh-dinh, résidence des autorités provinciales, n’est éloignée que de 15 à 18 kilomètres par terre de Kuinhone. On s’y rend en palanquin en sept heures. Quoique la population lui parût peu sympathique, M. Senez se fit porter en chaise au chef-lieu, où il trouva dans la citadelle, construite, comme celle de la capitale du Tonkin, d’après des plans français, les mandarins auxquels il voulait rendre visite. C’est un vaste quadrilatère de 1,000 à 1,200 mètres de côté, ne contenant plus que quelques vieux canons renfermés piteusement dans des paillettes. Bien que