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UNE SOTIE
AU DIX-NEUVIEME SIECLE

La Tentation de saint Antoine, par M. Gustave Flaubert, 1 vol. in-8o ; Paris 1874.

Il faut rajeunir un mot de notre vieille langue, si l’on veut donner un nom exact au nouvel ouvrage que vient de publier M. Gustave Flaubert. Est-ce un roman ? Assurément non. Est-ce un poème ? Pas davantage. Serait-ce par hasard un essai philosophique sous forme de drame, où bien une de ces satires à plusieurs personnages que Voltaire intitulait Facéties et dialogues ? Il y a quelque chose de cela ; mais les dialogues facétieux de Voltaire sont nets, précis, et le sens en est parfaitement intelligible depuis le premier mot jusqu’au dernier, l’esprit agressif qui les anime ne cache pas son venin sous des voiles apocalyptiques. D’ailleurs le cadre choisi par M. Gustave Flaubert reporte la pensée vers des temps bien plus éloignés de nous. A propos d’un vieux scénario populaire, comment ne pas songer aux mystères, aux moralités, aux soties ?

Ce n’est pas la première fois que l’art de notre siècle avec ses prétentions philosophiques emprunte des sujets à l’imagination naïve du moyen âge. Goethe s’est approprié la légende de Faust, M. Edgar Quinet a fait sortir une épopée de la complainte du Juif-Errant ; tous deux ont exprimé les systèmes les plus ardus et les plus compliqués de leur temps à l’aide de personnages pris au théâtre des marionnettes. Goethe a beau donner à son Faust le titre de tragédie, Faust est un mystère comme l’Ahasvérus de M. Edgar Quinet. La Tentation de saint Antoine, toute distance maintenue entre M. Flaubert et les écrivains que je viens de citer, mérite-t-elle le même nom ? Je ne le pense pas. Le mot de mystère dans notre ancienne littérature