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promesse, fous ces sages que le Satan de M. Flaubert évoque tumultueusement ont pour mission spéciale de faire grimacer l’humanité. S’il mêle adroitement à ces caricatures quelques traits de ressemblance avec Jésus, peu importe que cette ressemblance tout extérieure ne se rapporte en rien au fond des choses ; il espère tromper le moine ahuri et déraciner la foi du fond de son cœur.

Voici d’abord les hérétiques des premiers siècles, moitié chrétiens, moitié néo-platoniciens, gnostiques, illuminés, ceux qui s’appellent les purs, ceux qui derrière tout symbole aperçoivent toujours les profondeurs insondables, et, saisis de vertige, s’y plongent éperdument. Voici Manès, Saturnin, Cerdon, Marcion, Bardesanes, chacun avec son système sur la création, les priscillaniens affirmant que c’est le diable qui a fait le monde, Valentin soutenant que le monde est l’œuvre d’un dieu en délire, Basilide qui promet à ses disciples de les faire supérieurs à la loi, si bien qu’ils pourront mépriser tout, même la vertu, les carpocratiens qui condamnent l’abstinence, les nicolaïtes qui recommandent d’exterminer la chair à force de débauches, les marcosiens qui font de l’inertie et de la stupidité la vertu par excellence, les paterniens qui se vantent d’apaiser le diable par des dévotions immondes. Après que tous ces insensés ont jeté leurs clameurs, un homme s’élance un paquet de lanières à la main, et frappant de droite et de gauche, dit à chacun des vérités terribles ; Marcion, Nicolas, Carpocras, Mahès, autant de scélérats, la vermine des écoles et la lie de l’enfer ! Qui parle ainsi ? Tertullien. Antoine, heureux de l’entendre, veut s’attacher à lui, comme le naufragé s’accroche à la planche qui peut le sauver ; mais déjà Tertullien a disparu. A sa place, il aperçoit deux femmes, Priscilla et Maximilla, les deux amies de Montanus, qui racontent leurs amours et finissent par se battre. Moritanus les sépare et annonce sa religion : après l’âge du père est venu l’âge du fils ; lui, il inaugure le troisième, l’âge du paraclet ; Ensuite c’est une nouvelle invasion de sectes, d’écoles, de groupes exaltés et violens : arcontiques, valésiens, caïnites, les partisans des évangiles apocryphes, ceux-ci glorifiant l’évangile d’Ève, ceux-là l’Evangile de Judas, ces autres la prophétie de Barcouf ! Antoine discute avec eux, on le terrasse, on l’entraîne, et après mille visions sans queue ni tête il se trouve entouré de fidèles qui lui crient : C’est toi qui es le Christ ! c’est toi qui es le Verbe !

Réveillé un instant par l’horreur qu’il éprouve, l’ascète tombe étendu dans sa cabane, et l’hallucination recommence ; Il voit les premiers chrétiens, les martyrs, les confesseurs, ceux qui ont survécu aux tortures, et qui plus tard se racontent leurs épreuves dans les agapes fraternelles avec des transports qui les enivrent. L’auteur ne néglîge pas cette occasion de répéter les calomnies des païens