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plus grave de tous les sacrifices, celui de sa foi. M. Guizot l’applaudit de toutes ces concessions ; il l’approuve même, et sans réserve, de s’être fait catholique, « Je ne saurais mesurer précisément, dit-il, quelle part l’ambition, l’intérêt personnel, l’égoïsme royal, ont pu avoir dans l’abjuration religieuse d’Henri IV ; je ne prétends pas nier la présence de ces infirmités humaines, mais je demeure convaincu que la part du patriotisme a été la plus grande, et que le sentiment de ses devoirs de roi envers la France en proie à tous les maux de la guerre civile et de la guerre étrangère a été le mobile déterminant de sa résolution. » Sully, tout protestant qu’il était, l’avait conseillée à Henri IV ; il pensait que c’était pour lui le seul moyen « de posséder tranquillement ce grand, riche et populeux royaume, et d’être en condition de pouvoir faire de grandes et loyales associations étrangères. » Le fait est qu’à partir de sa réconciliation avec l’église tout parut réussir au roi, qui reconquit son royaume pièce à pièce. C’est vraiment une merveille de voir avec quelle rapidité la France, qui semblait irrévocablement perdue sous Henri III, s’est relevée sous Henri IV. Il l’avait trouvée ruinée, épuisée, divisée en mille factions, occupée par l’étranger, que tous les partis appelaient à leur aide ; il la laissa riche, unie, réconciliée avec elle-même, redoutée de ses voisins, et, comme c’est son usage, rêvant déjà, au lendemain de ses désastres, des projets de domination.

M. Vitet disait, il y a deux ans, au sujet du premier volume de M. Guizot, « que l’histoire de France est une source d’enseignemens et de consolations. » Il est bien plus naturel encore de le dire après le troisième ; il n’y a pas de lecture qui soit plus faite pour nous donner du cœur. Le règne d’Henri IV montre que nous ne devons jamais perdre courage et combien de ressources il reste à la France quand on la croit tout à fait abattue. C’est la leçon qu’il faut tirer du livre de M. Guizot. On trouverait assurément beaucoup d’autres éloges à en faire ; on pourrait remarquer surtout combien cette main reste ferme malgré les années ; on admirerait cette étendue de vues, cette richesse de souvenirs, cette sûreté de jugement, cette aisance avec laquelle l’auteur mêle sans cesse ses propres pensées à celles des contemporains ; mais il me semble que, dans la situation où se trouve notre pays, il y a autre chose à louer dans ce bel ouvrage que des mérites littéraires. Il vaut mieux remercier M. Guizot d’avoir consacré sa vigoureuse vieillesse à faire une œuvre utile qui nous enseigne à ne pas désespérer de nous-mêmes et de la France.


GASTON BOISSIER.


Le directeur-gérant, C. BULOZ.