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humaine des faux espoirs par lesquels les vieilles religions et les vieilles philosophies l’enivraient et l’exaltaient dans le vide ? Il y a un moyen plus digne de nous consoler. La science nous montre la véritable immortalité, celle de nos œuvres, de nos travaux, de nos pensées, celle enfin de la race, qui sort de nous. Encore faut-il bien nous persuader que ce n’est là qu’une immortalité, toute relative et provisoire. Ce n’est qu’un prolongement abstrait de notre existence dans un temps indéfini, mais certainement limité, bien que la limite échappe à nos yeux et même à notre pensée. L’humanité mourra, comme chaque société humaine sera morte, comme chaque homme sera mort. La terre elle-même qui porte, les hommes, comme un navire ses passagers, la terre périra, non dans les forces élémentaires qui la constituent, mais dans sa forme et son organisme actuels. Le soleil, qui est la source de vie pour cette partie du monde, s’éteindra. La mort s’étendra sur l’immensité sidérale ; elle en fera je ne sais quelle gigantesque nécropole où flotteront confusément les cadavres des mondes et les soleils, éteints. L’évolution cosmique elle-même aura une fin, puisqu’elle est un mouvement ; mais cette fin n’en atteindra que les manifestations éphémères : la force elle-même ne peut pas s’anéantir.

Que nous importent après tout soit le repos, relatif de cette force, soit les résurrections possibles de nouveaux univers impossibles à concevoir, complètement différens de tout ce qui est maintenant, et dans lesquels il n’y a pas de place pour ces multitudes de générations, qui auront mesuré par tant de souffrances et de mérites inutiles les longs siècles de l’humanité ? Ainsi s’ouvre, aux limites mêmes de notre connaissance, un au-delà incommensurable que reconnaissent toutes les écoles nouvelles, naturalistes et positivistes, dont elles prétendent avoir la claire vision, tout en arrêtant la pensée et la destinée de l’homme dans le cercle de la réalité phénoménale que mesurent nos facultés, dans le champ circonscrit des lois que nous pouvons vérifier. Immensité matérielle et intellectuelle à la fois, soit le fond de l’espace sans bornes, peuplé de mondes sans nombre, soit l’enchaînement des causes sans terme, ce double infini, ou pressenti par la pensée quand elle essaie de remonter à un premier principe, ou dévoilé par l’astronomie et deviné au-delà du Cosmos actuel, cette immensité, c’est comme un océan, nous dit-on, qui vient battre notre rive et pour lequel nous n’avons ni barque, ni voile. — Qu’importe encore une fois, puisque dans cette immensité l’homme est un étranger ? Devant ces hypothèses gigantesques que l’on jette comme une proie à notre imagination, dans ces espaces que les productions incessantes de la force ne rempliront jamais, même pendant l’éternité, notre