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forme la présentent à la signature[1]. Il faut beaucoup rabattre de ces récits où partout se complaît la malignité publique. La juste sévérité du gouvernement contre les employés prévaricateurs a déjà réformé plus d’un abus. La bureaucratie n’en a pas moins dans l’église un rôle qui semble d’autant plus exagéré qu’elle y paraît moins à sa place. Malheureusement, comme nous l’allons voir par l’administration diocésaine, les conditions générales de l’empire et la situation particulière du clergé russe fournissent plus d’un motif en faveur de la prolongation du système actuel.

Entre toutes ces affaires, dont un grand nombre sont abandonnées au procureur ou aux chancelleries, le synode se réserve plus spécialement les plus ecclésiastiques, celles qui touchent de plus près aux traditions ou à la discipline de l’église : ainsi l’enseignement des séminaires, les enquêtes sur les dévotions et les superstitions populaires, la canonisation des saints, la censure spirituelle. Cette dernière institution est aujourd’hui particulière à la Russie ; elle n’avait d’analogue que dans les états romains, avec cette différence que, sous le gouvernement papal, la censure ecclésiastique embrassait toute la sphère de l’esprit humain, tandis qu’en Russie elle est renfermée dans les matières religieuses. A côté de la censure spirituelle du synode est une censure civile dépendant du ministère de l’intérieur. Ce dualisme atténue les inconvéniens de cette tutelle intellectuelle. Les sciences laïques sont soumises à la censure laïque, dont l’esprit est naturellement moins étroit ou moins défiant. Des ouvrages de science, de philosophie ou d’économie politique trouvent ainsi dans l’empire un accès qu’auraient pu leur fermer les scrupules de la commission synodale,[2]. A la censure spirituelle sont d’abord soumis les traités de dévotion, puis les livres sortis du clergé, les recueils, et les journaux ecclésiastiques, qui déjà sont nombreux en Russie. A l’intérieur, cette censure est préventive, l’église a retenu vis-à-vis de la presse périodique un privilège abandonné par l’état sous le règne actuel. Pour toucher aux matières religieuses, les feuilles politiques doivent obtenir l’agrément de la censure spirituelle ; le plus souvent elles

  1. Rouskoê tchernoé i béloé Doukhovenstvo, t. II, ch. I. Cet ouvrage anonyme, publié il y a quelques années à Leipzig, donne sur l’église de curieux détails, mais il manque trop d’impartialité envers le haut clergé pour qu’on s’y puisse entièrement fier.
  2. L’indicateur de la Librairie (Oukazatel po délam petchati), feuille officielle paraissant à Pétersbourg deux fois par mois, donne la liste des livres admis ou repoussés par l’une ou l’autre censure, et spécialement par la censure étrangère. On peut ainsi se rendre compte de l’étendue de la sphère de chacune en même temps que de leur sévérité. Dans quelques numéros pris au hasard, nous remarquons l’admission d’ouvrages de Darwin et de Karl Marx, la prohibition de livres du docteur Strauss et d’Athanase Coquerel.