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pourquoi nous nous voyons contraints d’établir une vile usine à vos côtés ; mais nous savons quel respect vous est dû, et nous avons eu soin que notre fabrication ne fût pas sans quelque analogie avec vos goûts et vos préférences. Oh ! certes nous n’aurions pas osé établir ici de grossières ou puantes manufactures, mais une féculerie n’a rien qui puisse vous choquer. « Courtoise attention ! les produits du génie d’Honoré d’Urfé ne sont pas en effet sans rapports avec ce genre de produits matériels. S’il est vrai que les livres nourrissent le corps, et s’ils peuvent être comparés, selon leur nature, aux divers alimens, qu’est-ce que les pages de l’Astrée sinon de succulentes et substantielles fécules morales admirablement propres à réconforter l’esprit sans le charger et l’alourdir ?

Nous nous arrêterons peu au château lui-même. Dans son état actuel, il se compose du corps de logis principal flanqué de deux longues ailes ; c’est assez dire qu’il est à peu près intact, sinon comme habitation, au moins comme édifice. L’intérieur n’existe plus, mais l’architecture extérieure reste dans toute son originalité première, et n’a subi ni dégradations considérables ni stupides reconstructions. Plusieurs des dispositions rappellent celles des palais italiens, et sont dues en effet à l’admiration de Claude d’Urfé pour les magnificences de cette contrée. Ainsi, en place d’escalier, on monte de la cour au premier étage du château par une rampe d’une inclinaison si bien ménagée pour les facilités de l’ascension que les carrosses la gravissaient autrefois. Cette rampe aboutit à une galerie ouverte et spacieuse, du genre de celles qu’on appelle en Italie loggie, qui traverse dans toute son étendue une des ailes du château. L’aile opposée, qui est réservée tout entière aux dépendances et services, est percée à une hauteur assez considérable du sol de petites ouvertures cintrées, étroites et gracieuses, auxquelles on arrive par de petits escaliers de pierre, hauts et raides, ayant juste la largeur de ces ouvertures. Elles offrent accès à un cellier ou office admirablement éclairé et voûté qui donne la sensation de la grande salle d’honneur d’un palais souterrain ; c’était en effet autrefois la salle des gardes. C’est tout, et notre description se trouverait complète avec ces quelques lignes, si par heureuse fortune la dévastation n’avait pas épargné deux des parties de ce château, les plus petites, mais les plus curieuses, la chapelle et la salle des bains, qui sont au nombre des raretés de la France, et constituent une page encore toute vivante de notre histoire morale au XVIe siècle.

Il est assez malaisé de faire comprendre la subtilité compliquée des pensées qui semblent avoir présidé à la disposition de cette partie du château ; essayons cependant. La première chose qui