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naturel par conséquent que d’admettre que le nom de Triton ait été appliqué à un ensemble de cours d’eau, c’est-à-dire à un bassin.

Recherchons maintenant ce que Ptolémée voulait désigner par les « embouchures » de ce fleuve. Dans un pays comme l’Afrique, où les rivières disparaissent souvent dans les sables pour ne reparaître qu’à de grandes distances, les habitans devaient naturellement supposer une communication souterraine entre le lac Triton et les cours d’eau qui prenaient leur source à quelques kilomètres du lac. De semblables idées sont encore très répandues chez les Arabes. D’ailleurs Macadoma était située à environ 60 kilomètres au nord de Tacape (Gabès) ; c’est à peu près à égale distance de ces deux villes que Ptolémée place les embouchures du fleuve Triton. Cette position correspond exactement à celle de l’embouchure de l’Oued-Akareit, située à 24 kilomètres au nord de Gabès. C’est là que devait aboutir l’ancienne communication de la grande baie de Triton avec la mer. Quoique la communication n’existât plus à l’époque de Ptolémée, la tradition devait en avoir conservé le souvenir, et cette circonstance suffisait pour que l’Oued-Akareit fût désigné sous le nom de fleuve Triton. Ce souvenir se perpétua jusqu’à Édrisi, qui vivait au XIe siècle ; seulement ce n’est plus l’Oued-Akareit que cet auteur arabe fait communiquer avec le lac, c’est la rivière de Gabès. D’après la direction de cette rivière et la topographie de la région où elle coule, il est impossible qu’elle ait jamais communiqué avec le lac Triton. Il ne faut donc considérer le récit d’Édrisi que comme l’écho altéré d’une légende rappelant l’existence d’une ancienne communication entre le golfe et le lac, et il était naturel que cette légende se fixât sur le cours d’eau le plus en vue de la contrée, celui qui tombe dans la mer à Gabès.

On peut enfin se demander quelle était la ville des Libyens que Scylax place sur la côte occidentale du lac Triton. Ne serait-elle pas la même que celle dont parle Diodore de Sicile ? « On raconte, dit ce dernier, que les Amazones bâtirent dans le lac Triton une ville qu’à cause de sa situation ils appelèrent Chersonèse (presqu’île). » La ville actuelle de Touzeur est bâtie entre le chott Rharsa et le chott El-Djerid. À l’époque où la grande baie de Triton existait, ces deux chotts se réunissaient à l’ouest de Touzeur, qui se trouvait ainsi dans une presqu’île ; la position particulière de cette ville correspond donc exactement à celle qu’il est naturel de supposer à la Chersonèse de Diodore de Sicile. Il est certain d’ailleurs qu’elle est excessivement ancienne, à en juger d’après la remarque que fait à ce sujet l’Arabe Moula-Ahmed[1]. « Je ne crois pas, dit-il, qu’il me soit tombé entre les mains aucun ouvrage où il soit

  1. Exploration scientifique de l’Algérie, t. IX. — Relation de voyage de l’Arabe Moula-Ahmed, traduction de Berbrugger, p. 291.