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devînt irrémédiable en se prolongeant, pensa que le moment était venu de la modifier par la retraite de plusieurs ministres trop suspects aux préjugés populaires. C’était constituer au moins par là dans le ministère, à défaut d’autre, l’unité de la popularité, unité la plus propre à faire traverser le terrible défilé du procès des ministres de Charles X.

Avec une abnégation et une liberté d’esprit dignes d’admiration, M. Guizot et M. le duc de Broglie, malgré leur dédain naturel pour la popularité, dédain inspiré par une philosophie disposée peut-être à ne pas tenir assez de compte des préjuges et même des sentimens du pays, comprirent qu’il y avait là une force de circonstance qu’ils ne pouvaient apporter eux-mêmes. Ils se décidèrent dès lors à la retraite, en même temps que plusieurs ministres de nuances intermédiaires, tels que MM. Casimir Perier, Molé, Louis et Dupin, laissant aux deux ministres les plus populaires, MM. Laffitte et Dupont de l’Eure, le soin de former un cabinet d’une résistance moins suspecte, dont les soutiens en dehors du conseil seraient le général Lafayette et M. Odilon Barrot, et qui recevrait dans son sein de jeunes ministres[1] dont la notoriété, appartenant tout entière à l’époque nouvelle, devait contribuer à désarmer les préjugés passionnés de la population parisienne. Le principal mérite de ce cabinet, présidé par M. Laffitte, était d’être le résultat d’une nécessité reconnue même par les hommes éminens qui se retiraient ; mais c’était celui d’un expédient de circonstance bien plus que d’une solution durable, et l’on pouvait prévoir dès les premiers jours que le succès même de la mission du ministère Laffitte ferait reparaître avec plus de gravité les dangers qu’avaient déjà fait naître, dans un cabinet plus riche en talens divers et en expérience gouvernementale, le défaut de cohésion et les divisions des partis politiques.

Quoi qu’il en soit, il est permis à l’auteur de cette étude de rappeler, avec l’émotion d’un impérissable souvenir, que le jour de terrible responsabilité où fut rendu le mémorable arrêt de la cour des pairs vit s’accomplir, pure de toute tache, au milieu même du débordement des passions les plus odieuses, la mission d’humanité, d’honneur et de justice à laquelle le roi Louis-Philippe avait ouvert la voie, dès les premiers jours, en réclamant incessamment des chambres et de son ministère l’abolition de la peine de mort. Ce fut un beau jour, mais une simple éclaircie entre les orages de la veille et ceux non moins violens du lendemain. La fin même de ce jour remit aux prises, dans le ministère Laffitte, les tendances diverses qui le divisaient profondément. D’un autre côté, la

  1. H. Barthe et le comte de Montalivet.