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physionomie navrante de ces événemens les paroles de M. Guizot. « Ces ruines soudaines, dit-il, cette nudité désolée des lieux saints, étaient un spectacle hideux, moins hideux cependant que la joie brutale des destructeurs et l’indifférence moqueuse d’une foule de spectateurs. De toutes les orgies, celles de l’impiété populaire sont les pires, car c’est là qu’éclate la révolte des âmes contre leur vrai souverain, et je ne sais en vérité lesquels sont les plus insensés de ceux qui s’y livrent avec fureur ou de ceux qui sourient en les regardant. »

Ces saturnales impies eurent leurs contre-coups dans un grand nombre de départemens. A Lille, à Dijon, à Nîmes, à Arles, à Perpignan, à Angoulême notamment, elles éclatèrent avec le même mélange de haines politiques et de passions odieuses, de sorte qu’on peut dire qu’à cette époque la société semblait marcher vers une désorganisation entière. Cette sombre prévision paraissait d’autant plus vraisemblable que le pouvoir qui la représentait était trop souvent abandonné par ses défenseurs naturels. C’est ainsi que la garde nationale s’associait elle-même aux fureurs qui poursuivaient dans les monumens, en les mutilant, tout ce qui retraçait l’image du gouvernement qu’elle avait renversé, — fleurs de lis et bas-reliefs, — et condamnait le roi à la douleur de sacrifier les armes mêmes de sa famille, donnant par là, sous l’inspiration d’un faux patriotisme et d’une haine aveugle, un funeste encouragement à l’anarchie.

C’est au milieu de ces déplorables scènes, de plus en plus menaçantes pour l’ordre social, qu’apparaît la grande figure de Casimir Perier.


II

Dans ses Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps, M. Guizot a donné leur véritable nom à l’ensemble des scènes qui précèdent quand il a intitulé son douzième chapitre : Casimir Perier et l’anarchie. C’était bien l’anarchie, hélas ! Nous ne nous serions pas imposé la tâche douloureuse d’en rappeler les souvenirs et d’en constater la réalité, si des paroles prononcées naguère à la tribune de l’assemblée nationale ne pouvaient avoir pour effet de dénaturer jusqu’à un certain point les luttes de 1831 et 1832, et d’en nier, d’en affaiblir tout au moins l’immense gravité politique et sociale. Ce serait, bien involontairement sans doute de la part de leur auteur[1], diminuer la vraie gloire de Casimir Perier, et affaiblir

  1. M. le duc de Broglie, dans la discussion de la loi sur les maires à l’assemblée nationale, a prononcé ces paroles : « quand l’honorable préopinant fera valoir les mérites de la loi de 1831, je pense qu’il rappellera dans quelles circonstances, au sein de quelles institutions, dans quel temps d’ordre et de régularité… la loi de 1831 a pu porter les fruits vraiment heureux que le gouvernement d’alors en a recueillis. » (Séance du 17 janvier 1874.) M. le duc de Broglie aurait dû rappeler, non pas les temps calmes et réguliers qui ont suivi 1831 et 1832, surtout à partir de l’année 1835, mais les temps si terriblement troublés pendant lesquels la loi qui rend obligatoire le choix des maires dans les conseils municipaux a pris naissance et a été appliquée pour la première fois sous la. main aussi hardiment libérale que fermement conservatrice de Casimir Perier.