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entière, amené d’inévitables catastrophes et perdu en même temps la cause des peuples voisins, dont l’indépendance constituait pour nous un intérêt presque national. Les passions politiques s’étaient hâtées d’exploiter cette situation fertile en émotions populaires en faisant appel à des sentimens, à une générosité et à un patriotisme irréfléchis qui doublaient leurs forces révolutionnaires et les difficultés du gouvernement. C’est ainsi que prenait naissance une grande association, dite nationale, destinée, disaient ses promoteurs, à surveiller le gouvernement et à suppléer, s’il y avait lieu, à l’insuffisance de ses efforts pour défendre l’honneur et les intérêts de la France. Cette association recevait des adhésions de toutes parts, offrant sa formule vague et habilement indéterminée à toutes les hostilités, à tous les mécontentemens, comme à toutes les ardeurs les plus sincères. Elle avait ainsi fait pénétrer partout avec elle, sous l’influence de sentimens très divers, un désordre moral qui grandissait chaque jour dans l’armée, dans la garde nationale, dans l’administration et dans les chambres elles-mêmes. Pendant ce temps, une formule constitutionnelle, qu’on appelait le programme de l’Hôtel de Ville, était devenue le mot d’ordre de l’opposition, avec la prétention de se substituer au texte formel de la charte, en l’interprétant dans un sens tout autre que la pensée même de ses auteurs : formule non moins vague, et par cela même non moins dangereuse que celle de a l’association nationale, » toute prête de son côté à se substituer à l’action légale du gouvernement.

Cette puissance nouvelle, élevée en dehors des conditions les plus élémentaires d’un état régulier et de l’ordre public, empruntait malheureusement une grande force au patronage de personnages éminens, tels que le général Lafayette, le général Lamarque, Dupont de l’Eure et Odilon Barrot ; leur influence en effet entraînait à sa suite, avec les ennemis implacables de l’ordre nouveau, dont ils étaient cependant si loin de partager les passions, une foule de bons et honnêtes citoyens, parmi lesquels on pouvait compter jusqu’à des aides-de-camp du roi. Nous ne saurions entrer ici dans tous les détails de l’exposé complet, fait le 13 mars en présence du roi et de Casimir Perier ; mais nous négligerions des points trop importans dans ce douloureux tableau, si nous n’ajoutions que le socialisme, qui avait fait son apparition dans les clubs politiques dès le mois de septembre 1830, continuait et développait son œuvre sous des noms divers, saint-simoniens, phalanstériens, fouriéristes, icariens, etc., — que le parti républicain commençait à se retrancher dans des sociétés secrètes, — que le parti légitimiste d’action se préparait à la lutte à Paris, dans l’ouest et dans le midi, sous la direction d’un certain nombre de comités, et y préludait par une