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poète jacobin, que cet ennemi forcené des papes est professeur depuis une douzaine d’années à Bologne. Sans doute cette ville, en sa qualité d’ancien chef-lieu des légations pontificales, est un foyer naturel de réaction démocratique ; cependant de l’autre côté des Alpes il n’y a pas à s’étonner de cette liberté ou, si l’on veut, de cette licence : L’Italie, même sous le régime de l’unité, est le pays de la variété. L’esprit public change d’une ville à une autre, et il y a des courans qui portent en sens divers les Italiens que leurs intérêts n’attachent pas à leur sol, ici les démocrates, là les conservateur un peu partout les libéraux. M. Carducci est un Toscan dépaysé. Dans un sonnet de 1867, il accuse Florence d’indifférence politique et de servilité, ni plus ni moins que s’il était Napolitain ou Piémontais. Ne serait-ce pas qu’il a des saillies trop vives pour le calme tempérament des Florentins ? Il n’est pas besoin d’une grande sagacité pour entrevoir les divisions, les sécessions, le démembrement final qui succéderaient à l’institution de la république en ce pays. La royauté est le lien nécessaire qui retient ensemble toutes ces parties discordantes.

De bonne heure, M. Carducci publia des vers qu’il réunit ensuite sous le titre de Juvenilia. Comme il se fait une consommation perpétuelle de poésie, les écrivains en ce pays, loin de se recueillir, lancent dans le monde leurs inspirations au jour la journée, et quand ils les rassemblent en volumes, il n’est pas rare que ces pensées, nées chacune en leur saison particulière, affectent des couleurs diverses. Il y a un peu de tout dans ces Juvenilia. L’auteur pourrait bien être chrétien et catholique, — il écrit des stances en l’honneur d’une Diana Giuntini, morte en odeur de sainteté ; il pourrait bien aussi être libre penseur, — il méprise son siècle, « ce petit siècle qui affecte le christianisme, » il secoletto vil che cristianeggia. Peut-être ne serait-il ni l’un ni l’autre, s’il faut prendre au sérieux sa pièce à Phébus Apollon, où il parle en dévot du vieux culte des idoles. Nous aussi, nous avons eu nos païens de la littérature, quoiqu’ils ne fussent guère que des dilettanti de mythologie, des artistes jouant des variations sur un thème homérique ou alexandrin. Il s’agit ici d’un retour presque sérieux au polythéisme, d’une débauche de paganisme en apparence fervent, d’un retour aux dieux de Virgile et d’Horace par je ne sais quel patriotisme autant que par tendance littéraire. Monti, en 1825, avait épuisé tout ce que ce thème pouvait offrir de piquant. Son épître sur la mythologie était une plaisanterie écrite de verve contre les romantiques. M. Carducci en fait un article de foi et une question de drapeau. Dans un brindisi, — chanson à boire, — il invite ses amis, des étudians de Pise sans doute, à laisser la misérable famille romantique gémir, jeûner,