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même regard les rendez-vous amoureux et les tueries entre frères. En ce moment, tu te poses souriant sur mon front, et tu jettes un vif rayon de ta lumière sereine sur le fer qui va me percer la poitrine. Tu me rappelles les souvenirs effacés de mon premier âge, et verses le désir de jouir dans mon cœur qui va pourtant mourir…

« O chères années où je te voyais éclater sur la mer, quand l’onde vaste frémissait renvoyant tes étincelles, quand le ciel illuminé de clartés s’enflammait ! Pas de visage d’homme, pas d’œuvre humaine devant moi : à travers la profonde lumière, je courais haletant pour jouir de ce haut spectacle. J’avais avec moi mon erreur, qui jetait un voile rose sur les objets. Oh ! qui me l’a enlevée ? Qui m’a enseigné la vie funeste ? Demain, étendu dans mon sang, dans la froide horreur de la mort, tu me reverras, soleil, détruit de ma propre main. Que mon jeune sang fume en présence de la cruelle marâtre des hommes ; souillant les regards de mes parens, qu’il atteste l’odieuse trahison de la vie. Loin de la force cruelle qui serre entre ses mains le frein de cet univers, porté sur les ailes de la mort, que mon esprit prenne sa course vers les lieux où l’on ne. souffre plus, où l’on ne rencontre plus de tyrans. »


Le suicide est entré dans la littérature italienne avec Jacopo Ortis, et il s’y est montré discursif, oratoire outre mesure ; le personnage de prédilection de Ugo Foscolo parle sans cesse de se tuer au point de faire croire que la mort n’est pour lui qu’une source d’émotions et un thème pour sa philosophie pessimiste. Le dénoûment en souffre un peu ; il paraît sans cesse ajourné, on ne voit pas pourquoi il vient si tard, ou même pourquoi il ne serait pas retardé davantage. Dans le fait, après avoir poursuivi avec tant de complaisance l’image de la mort, après en avoir fait le texte de tant de pages éloquentes, Foscolo a jugé à propos de vivre, et à travers toute sorte de misères, victime des événemens, de sa vanité, de sa frivolité, et surtout de ses dettes. Leopardi a voulu vivre malgré son Bruto minore, où il soutient le droit de se détruire, malgré ses infirmités et sa gêne, malgré sa foi robuste dans le matérialisme et dans le néant. Le suicide ailleurs fournit un dénoûment ou un chapitre à un roman ; en Italie, il est le sujet même. Il arrive de plus, comme dans Jacopo Ortis, qu’il affecte une tendance politique : les héros italiens de la mort volontaire sont des Câtons d’Utique.

Ces reproches ne peuvent s’adresser aux vers de M. Carducci sur la fin tragique de son frère. Ici le sacrifice sanglant n’est que trop réel. Il y a de plus dans ces vers d’une harmonie funèbre l’âme d’un frère qui pleure son sang. On s’associe au deuil du poète : on ne se sent pas le courage de tirer de ce suicide la leçon qu’il