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déjà confuses de M. Michelet, l’auteur a tiré des fantaisies qui portent le mélange des idées jusqu’à l’absolue contradiction.

Le morceau le mieux réussi de ce recueil politique et un peu socialiste des Decennali est celui qui touche le moins à la politique, le Brindisi ou Chanson à boire. En effet le disciple du mélancolique Leopardi en met dans chacun de ses volumes, et il est mieux inspiré quand il a le verre à la main que lorsqu’il promène ses doigts sur les cordes de fer de la lyre d’Alcée. Il est vrai que le poète de Mitylène chantait aussi bien le vin que la liberté ; mais, soit qu’il exagère le diapason de l’ode patriotique, soit qu’il n’ait sur son instrument que l’une des cordes d’Alcée, M. Carducci n’a pas, ce semble, la haute vocation lyrique. Nous préférons à ses élans les plus hardis les strophes légères et franches de Giusti, qui faisait d’ailleurs d’excellentes chansons à boire à l’italienne, des brindisi mêlés de satire politique ou morale. M. Carducci les connaît bien, et l’on s’en aperçoit dans ses recueils. Nous goûtons beaucoup moins les déclamations versifiées par l’écrivain sur les fêtes des riches et sur les privations des indigens, sur les belles dames qui meurent entourées, consolées, et sur les femmes pauvres qui meurent sans amis pour leur adoucir le terrible passage (est-il bien sûr que l’homme opulent soit plus aimé des siens que le misérable ?), enfin sur les jeunes filles que le besoin contraint d’oublier leur honneur : ces sortes de sujets auraient tout au moins le tort de la banalité, quand il ne serait pas avéré que nulle part mieux qu’en Italie les classes aisées ne viennent au secours des classes souffrantes.

Entre les pièces de circonstance de ce recueil des Decennali, nous doutons fort que la postérité réponde à l’invocation qui termine les vers intitulés Dopo Aspromonte, « après Aspromonte. » L’écrivain mériterait que la Justice et la Liberté ne voulussent pas exaucer la prière qu’il leur adresse de briller sur sa tombe, afin de le punir de ne pas voir qu’elles ont bien déjà jeté quelques rayons sur l’Italie. Son nom demeurerait obscur parce qu’il a voulu être aveugle : il serait puni par où il a péché. Nous mettons au même rang d’autres poésies qui ont pour titre la Sicile et la révolution dans les premiers jours de 1862, la Révolution de Grèce, où le sentiment de la réalité, qui fait absolument défaut, est remplacé par des déclamations plus ou moins érudites. L’auteur reproche ailleurs aux poètes amoureux d’être des désœuvrés, perdigiorni, de perdre leur temps : il est malaisé de perdre plus complètement ses journées qu’en adressant du fond de quelque ville italienne des avalanches de strophes aux Grecs, aux Serbes, aux Hongrois, pour les appeler à la liberté, au tsar de Russie pour lui reprocher son hypocrisie de libéralisme, au jeune roi récemment appelé au trône de l’Hellade