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évêques d’être convoqués et de siéger lorsqu’ils en ont le désir ; c’est le contraire qui est vrai[1]. » Ainsi même pour les prélats députés l’idée de la délégation s’est substituée à la comparution personnelle.

Le mandat dont les députés étaient investis était non pas un mandat spécial à chaque ordre, mais un mandat commun ; les discussions l’attestent clairement. « Il semble, dit un membre de la noblesse dans le débat relatif aux taxes des députés, à en juger par le discours que vous venez d’entendre, qu’ici les ecclésiastiques ne se soient occupés que d’affaires d’église, les nobles des affaires de la guerre, et les membres du troisième ordre seuls des affaires de la nation. Peut-être ces derniers s’imaginent-ils être parmi nous les seuls et uniques représentans du tiers-état, c’est-à-dire du peuple. Qu’ils regardent, je les en prie, qu’ils lisent d’un bout à l’autre le contenu de leur procuration, ils verront clairement que les ecclésiastiques et les nobles ne sont pas moins qu’eux les mandataires du peuple ; tous les députés tiennent leur pouvoir de tous les électeurs réunis des trois états, et ce n’est pas seulement de l’ordre auquel il appartient que chaque député est censé tenir son mandat. Les députés des trois ordres travaillent en commun au bien de la chose publique, devoir qui ne diffère pas suivant l’origine du mandat[2]. » Peut-on récuser ce témoignage d’une si lumineuse clarté ?

Jamais, avant les états de Tours, la nomination des députés n’avait encore revêtu un tel caractère d’union entre les ordres. Ce n’était pas une simple question de formes : l’accord était plus réel et plus profond. En effet, ne nous arrêtons pas au seuil des assemblées de bailliage, d’où sortent ensemble le clerc, le noble et le bourgeois, tous trois élus le même jour députés aux états. Suivons-les dans ce long voyage, dont les fatigues créaient entre eux de nouveaux liens, et arrivons avec eux à Tours. Que va-t-il se passer ? L’assemblée s’ouvrira sans autre distinction de rang que celui des provinces ; les ordres, animés d’intérêts divers, mus par des passions souvent contraires, ne se grouperont pas dans un fatal isolement ; ils demeureront fidèles à ceux qui les ont envoyés ; l’esprit provincial l’emportera sur l’esprit de caste malgré l’oppression exercée par Louis XI sur les gentilshommes, oppression à laquelle la noblesse a hâte d’échapper, malgré les souffrances du peuple, qui fait entendre les plaintes les plus amères. Tous ces sentimens sont étouffés. La pensée de la province et de la France est plus forte que les intérêts rivaux.

  1. Journal des États-Généraux de 1484, par Jehan Masselin. Documens inédits de l’histoire de France, p. 407.
  2. Journal de Masselin, p. 501.