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le même sentiment : c’est la beauté fière et un peu sauvage d’un jeune animal plein de sève qui s’épanouit au milieu du luxe d’une civilisation raffinée.

M. Dubufe n’en cherche pas si long, il ne voit de la femme que la toilette. Il ne la traite même pas comme une belle bête : il en fait un mannequin enluminé sans caractère et sans vie. M. Pérignon du moins, ayant à représenter une actrice célèbre sous le costume de la grande-duchesse de Gérolstein, ne pouvait faire qu’un tableau de bal masqué. On ne saurait non plus s’extasier beaucoup devant le portrait assez noble, mais un peu mignard, de la duchesse de L…, par M. Cabanel. Grâce à un trop grand luxe d’accessoires et à une enluminure plus systématique que sincère, cette toile manque de plan, de jour et d’harmonie. C’est aussi le défaut capital du très beau portrait de la comtesse W. de L…, dont l’aspect est répulsif à première vue, et auquel il faut que l’œil s’accoutume avant de l’admirer. La jeune femme est à demi affaissée contre un coussin, dans une pose à la fois noble et nonchalante ; elle se présente de trois quarts, son épaule droite se relève en avant, ses mains traînent languissamment et se rejoignent à demi sur ses genoux. Le cou, les bras, les mains, les épaules, sont de ce dessin précis et délicat dont M. Cabanel possède le secret. La tête s’accorde à merveille avec l’attitude du corps ; le nez est courbé, la bouche entr’ouverte, l’œil sombre et voilé, les sourcils noirs et marqués se rejoignent presque au-dessus des yeux ; la physionomie tout entière est mystérieuse, énigmatique, un peu inquiétante et profondément individuelle. Voilà du moins un portrait qui représente la personne morale à travers la figure extérieure ; mais pourquoi ces indécisions blafardes sur le visage ? On dirait que le modèle a commencé par se peindre lui-même avant de se faire peindre. Cette fâcheuse impression est encore aggravée par le voisinage redoutable d’un coussin rouge, d’une robe bleu d’azur, d’une tunique violette, d’une chevelure rouge, le tout sur un fond bleu. Ce bariolage de couleurs vives tue complètement les chairs, qui déjà n’ont pas beaucoup d’éclat par elles-mêmes. Est-ce le succès de M. Duran qui a gâté le goût de M. Cabanel ? Lui jadis si sévère et si discret dans le choix des moyens, il tombe à son tour dans ce travers des colorations voyantes, qui subordonnent la figure à la toilette et la personne humaine à l’aspect pittoresque.

Il faut adresser le même reproche à un fort beau portrait de vieille femme de M. Hébert, peinture peut-être un peu molle, mais du plus noble aspect ; seulement les détails de la toilette sont figurés avec un si grand luxe de couleurs discordantes que le personnage perd toute espèce d’unité. Une figure qui au contraire se tient d’un seul bloc et qui sort de la toile avec une rare vigueur est ce portrait en pied de M. Henner, qui représente une femme en velours