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lui ; il descend en lisant son bréviaire, sans même daigner lever les yeux de l’autre côté ; un groupe de courtisans remontent les degrés ; ils défilent à distance respectueuse, se pressant contre la balustrade et s’inclinant jusqu’à terre du plus loin qu’ils aperçoivent « l’éminence. » Ce contraste est des plus heureux, mais il est trop chargé ; de plus ce groupe forme un entassement confus où les plans se distinguent mal et où l’air manque entre les figures. Evêques en camail violet, cardinaux en robe rouge, grands seigneurs en pourpoint de soie et en manteau de cour, s’entassent les uns sur les autres et ne forment qu’un seul bloc. Un jeune hallebardier se tient dans un coin ; plus haut, sur les marches de l’escalier, trois figures d’un dessin très beau et très sévère, un évêque coiffé de sa calotte et deux jeunes seigneurs, chapeau en tête, se retournent pour considérer cette exhibition de la platitude humaine. La signification morale de l’œuvre se trouve ainsi soulignée avec cette clarté toute française qui est le propre du talent de M. Gérôme, et dont quelquefois chez lui l’excès tourne presque en défaut.

Le Rex Tibicem, du même auteur, n’a pas seulement le malheur de porter un titre d’une latinité prétentieuse qui déroute bien des gens ; il a le tort infiniment plus grave de justifier ce titre prétentieux. Jamais le danger d’avoir trop d’esprit en peinture n’a été mieux démontré. Le grand Frédéric rentre de la chasse, et, sans se donner le temps d’ôter ses bottes, il exécute sur la flûte un des morceaux brillans de son répertoire. Rien qu’à le voir s’agiter devant son pupitre, on sent la furie musicale qui l’anime et on entend presque les vocalises qui sortent de son instrument. Tout est ingénieux dans ce tableau, depuis le désordre des papiers jetés sur la table jusqu’aux bottes crottées du souverain, depuis le chapeau jeté à terre jusqu’au lévrier couché dans le fauteuil sur l’épée du maître, jusqu’au buste de Voltaire qui regarde son élève avec un ironique sourire ; mais quelle mesquine façon de travestir l’histoire ! Ce n’est même plus l’histoire en robe de chambre, comme nous l’ont montrée les érudits de notre temps ; c’est l’histoire en costume de bal masqué et, qui pis est, fort maigrement peinte. — La Collaboration est d’une touche moins sèche et moins cassante ; elle a même une coloration de bon goût qui ressemble presque à de la couleur. Aux deux bouts d’une longue table de chêne et dans des attitudes qui rendent à merveille leur caractère, sont assis deux poètes, un vieux et un jeune, Corneille et Quinault, travaillant ensemble au ballet de Psyché, le premier, une calotte noire sur la tête, en habit gris galonné de coupe démodée et d’antique apparence, le second en perruque blonde et en habit de cour. Le vieux poète, penché sur la table, lit avec chaleur à son jeune confrère un manuscrit que l’autre