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et des mœurs qu’elle exprime ; mais au point de vue de l’art, ce qui doit nous intéresser le plus, c’est la sculpture.

La sculpture est à la fois l’art le plus réel et le plus idéal, — le plus réel parce qu’il embrasse un sujet restreint, une réalité positive, et qu’il est obligé d’en faire le tour pour la posséder tout entière, — le plus idéal, parce que, dans sa lutte avec la réalité, il se voit obligé d’en pénétrer plus profondément et d’en exprimer plus fidèlement le sens idéal. En sculpture, il n’y a pas de négligences possibles, pas d’à-peu-près, pas de fantaisies permises ; on ne peut point racheter la faiblesse de la pensée ou la mollesse de l’exécution par l’effet décoratif ou par la magie de la couleur. Une sévère discipline pèse sur l’artiste. Il faut qu’il soit à la fois très positif et très abstrait, très exact et très dédaigneux des détails purement pittoresques ou des minuties de l’exécution. Les sculpteurs qui aiment les tours de force et qui veulent contraindre le marbre et le bronze à rendre des effets étrangers au génie de la sculpture viennent se heurter aux lois naturelles qui président à cet art sévère. Il en résulte chez eux une certaine tenue, un certain sérieux dans les études, une certaine dignité de style, qui font de l’atelier du sculpteur le dernier, mais inexpugnable refuge des saines traditions et du grand art.

Aussi est-ce avec un vrai bonheur que nous constatons une fois de plus l’état florissant de la sculpture française. Elle n’est pas irréprochable assurément ; elle vit sur le même fonds d’idées que sa sœur, la peinture de style ; elle a donc beaucoup des mêmes tendances et des mêmes travers. Elle se laisse aller trop aisément à l’emphase banale, à la platitude bourgeoise ou à la vulgarité populaire ; elle recherche trop souvent la fausse distinction, l’expression sentimentale, la morbidesse, la sensualité élégante ; elle se plaît même quelquefois à des raffinemens pittoresques, à des travaux de bijouterie qui ne sont point de son domaine, et qui rappellent les enjolivemens exagérés de la peinture de genre. Néanmoins ces défauts y sont atténués, idéalisés, presque ennoblis ; les idées justes y sont exprimées dans un langage plus sobre et plus mâle ; les idées fausses y deviennent si choquantes qu’elles se font, pour ainsi dire, justice elles-mêmes. En somme, la sculpture française est vivante et saine ; elle témoigne d’efforts consciencieux et d’une conviction persévérante, malheureusement peu soutenue par un public ignorant et dédaigneux. Raison de plus pour qu’on l’encourage ; si l’on donne encore cette année une grande médaille d’honneur, nous espérons bien qu’elle sera décernée au Narcisse de M. Dubois ou au Gloria victis de M. Mercié.

De ces deux œuvres vraiment supérieures, celle de M. Mercié est la plus inspirée et la plus émouvante ; celle de M. Dubois est