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l’irrigation simple, qui a l’avantage d’offrir une perspective de rendement par les cultures qu’elle permet d’entreprendre. Il ne faut pas d’ailleurs oublier que dans les questions d’hygiène publique la considération des résultats pécuniaires immédiats ne vient qu’en seconde ligne ; ce qu’on gagne au point de vue de la salubrité représente un profit matériel considérable, car c’est un moyen indirect, mais infaillible, d’accroître la prospérité[1].

Les recherches entreprises dans ces derniers temps par M. A. Gérardin, sous les auspices du ministre de l’instruction publique, ont beaucoup contribué à éclaircir cette grave question de l’altération des rivières. M. Gérardin a examiné les cours d’eau nombreux que renferme le bassin du Croult, rivière qui se jette dans la Seine à Saint-Denis. On y trouve réunies les conditions les plus favorables pour les études hydrologiques : un réseau de rivières très développé, des puits, des sources minérales, des ruisseaux d’eau chaude provenant des usines, toutes les variétés d’eaux altérées ou corrompues. L’examen comparatif de ces liquides divers tend à prouver que le critérium des eaux salubres ne peut être ni la couleur, ni l’odeur, ni la saveur, ni la composition chimique. Une eau trouble peut n’offrir aucune altération dangereuse ; au contraire une eau peut être profondément altérée sans cesser d’être limpide et sans répandre aucune odeur. L’analyse chimique ne nous renseigne pas davantage. Une eau salubre qui reste longtemps renfermée dans un flacon s’altère, et pourtant l’analyse élémentaire donne toujours les mêmes résultats. En définitive, il n’y a qu’un seul moyen sûr de reconnaître les qualités hygiéniques des eaux : c’est d’en observer l’effet sur les organismes vivans. Une eau est saine lorsque les animaux et les végétaux supérieurs peuvent y vivre ; elle est infectée lorsqu’elle fait périr les êtres vivans, sauf, les infusoires et les cryptogames ; Les poissons qui peuplent une rivière la garantissent.

Dès que les eaux s’altèrent, on voit les poissons remonter à la surface à demi pâmés ; ils s’attroupent dans les endroits où arrivent quelques filets d’eau pure, et, si on les chasse de ces stations, on les voit mourir. Au mois de juillet 1869, l’altération de la Seine ayant augmenté brusquement, le poisson mourut de Saint-Denis à Chatou. Vers Argenteuil, les poissons morts formaient sur les deux rives un banc de 2 mètres de largeur sur une longueur de 5 kilomètres, elles communes riveraines durent faire enlever ces innombrables cadavres pour les enterrer. La plupart des mollusques périssent également dans les eaux infectées ; dès que l’eau s’infecte, ils remontent le long des herbes, s’y cachent sous les feuilles, et attendent pour redescendre que le danger ait disparu ; en juillet 1869, les limnées restèrent ainsi cinq jours hors de l’eau.

  1. En comptant 1 décès pour 30 cas de maladie d’une durée moyenne de 20 jours et causant une porte de 2 francs par jour, une diminution de la mortalité de 4 pour 1,000 représenterait une économie d’environ 5 francs par an et par habitant.