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dénonça ce traité au nom de la dérisoire souveraineté des territoires, et proposa que des provinces nouvellement colonisées, demandant à être admises, dans l’Union, y fussent reçues, qu’elles eussent ou non accepté l’esclavage dans leur constitution particulière. Le bill de M. Douglas fut voté par les deux chambres et ratifié par le président. Les dernières barrières opposées par une prévoyance trop timide à l’ambition du sud étaient brisées. Le bill du sénateur Douglas avait été présenté à propos de l’organisation du vaste territoire de Nebraska et de Kansas que les Indiens avaient cédé par traité. Les émigrans de l’ouest et du nord y entrèrent bientôt en lutte avec les gens du sud, qui venaient en bandes armées du Missouri prendre part à toutes les élections. Une véritable guerre civile éclata, et le gouvernement mit les troupes fédérales au service des flibustiers, qui régnaient, déjà par la terreur dans le Kansas.

Le sénateur de Boston prononça à cette occasion un de ses plus courageux discours, qu’il fit imprimer sous ce titre : le Crime contre le Kansas. Il devait payer cher son audace. Il avait adressé quelques critiques à la Caroline du sud. La séance terminée, la salle déjà vide, un représentant de cet état au congrès, M. Brooks, voyant M. Sunmer occupé à écrire des lettres, le frappa par derrière à plusieurs reprises avec une lourde canne sur la tête et l’étendit sans connaissance. Deux députés avaient accompagné M. Brooks pour empêcher que quelqu’un pût se jeter sur lui. Cette lâche agression remplit tout le nord d’indignation et de fureur. Le sud au contraire applaudit à la conduite de M. Brooks : pendant que sa victime était en danger de mort, on lui vota des remercîmens, il fut l’objet de ridicules démonstrations ; il avait donné tout de suite sa démission, ses électeurs le renvoyèrent au congrès. Le remords saisit toutefois ce jeune fanatique, qui appartenait à une des meilleures familles du sud ; il eut honte de lui-même, et tomba dans une mélancolie qui, dit-on, abrégea ses jours.

On craignit un moment que la belle intelligence de Sunmer n’eût reçu des atteintes irréparables ; , le repos le plus absolu lui fut ordonné, son système nerveux était profondément ébranlé. Les coups avaient dû être terribles ; Sumner, qui avait la taille et la force d’un géant, en se relevant, avant de tomber, avait arraché du parquet le pupitre sur lequel il écrivait. Il vint se faire soigner à Paris ; c’est à cette époque que je le vis pour la première fois. Il habitait l’hôtel de la Paix situé dans la partie de la rue de la Paix aujourd’hui démolie ; sa vie était alors un vrai martyre, car on lui appliquait des moxas le long de l’épine dorsale, et il ne voulut jamais prendre de chloroforme. Dans les intervalles de ces cruelles opérations, j’avais souvent l’honneur de le voir ; son affection pour des personnes qui