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l’Alabama, la Louisiane, d’autres états encore, vivaient dans un désordre pareil à celui des petites républiques de l’Amérique du Sud. Le général Grant avait demandé au congrès et avait obtenu des pouvoirs suffisans pour réprimer les désordres les plus scandaleux ; il offrait aux législatures légalement élues l’appui des régimens fédéraux, et pouvait évoquer devant les cours des États-Unis des causes qui en d’autres temps eussent été réservées aux cours provinciales. Les démocrates criaient à la tyrannie, mais les anciens planteurs eux-mêmes préféraient la protection du pouvoir exécutif à l’anarchie ou à l’omnipotence de petits gouvernemens de hasard, d’autant plus violens qu’ils étaient plus faibles. Le gouvernement central était devenu une sorte d’arbitre au milieu des factions, et le président, qui n’était qu’un citoyen dans le nord, redevenait quelquefois un général dans les anciens états rebelles. L’histoire intérieure de ces états pendant les années qui suivirent la guerre civile est fort peu connue ; mais, quand on lit les actes d’accusation dressés contre Grant pendant la campagne électorale qui suivit sa première présidence, on ne trouve aucun fait qui dénote de sa part l’intention de substituer sa volonté aux lois. Qu’il fût l’exécuteur rigide de ces lois, c’était son droit, et c’était son devoir ; ces lois étaient l’œuvre du congrès et du sénat, non la sienne.

Quand le terme des pouvoirs présidentiels approcha, Sumner se laissa entraîner dans le camp de ceux qui combattaient la réélection de Grant. Les républicains du Massachusetts furent extrêmement irrités contre lui, ils l’accusèrent de trahison, la législature l’avait déjà censuré solennellement parce qu’il avait demandé qu’on n’inscrivît pas sur les drapeaux des régimens les dates des batailles livrées pendant la guerre civile. Que les temps étaient changés ! Sumner, jadis objet de l’horreur des démocrates et des planteurs, était devenu presque leur favori ; il avait plaidé pour les noirs, il plaidait maintenant pour les vaincus. Sa générosité naturelle l’entraînait du même côté que son irritation contre le parti républicain, qu’il accusait de froideur, de mollesse et de servilité. Pourtant il ne voulut point prendre part à la campagne présidentielle ; il prétexta de l’état de sa santé pour venir en Europe.

Le parti démocratique, coalisé avec les républicains dissidens, n’avait chance de lutter avec quelque succès contre le général Grant qu’en portant son choix sur quelque personnage considérable, inspirant confiance au pays, d’une sagesse éprouvée, supérieur pour ainsi dire aux partis, capable de servir d’arbitre entre tous et de représenter la grandeur et les intérêts nationaux. Il n’y avait qu’un nom qui, à ces titres divers, pût être opposé à celui de Grant ; c’était celui de M. Adams, fils et petit-fils de présidens, qui avait si