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foi, l’austère et rude génie des saints visionnaires, la sincérité absolue de la jeunesse et de l’amour, sont choses évanouies et qui ne refleuriront jamais dans notre littérature sacrée. A lire ce fatras indigeste, ces lourdes compilations d’une fadeur écœurante, on croirait voir et entendre un déplaisant personnage à la tête chenue, à la mine pouponne et vieillotte, à la voix chevrotante, qui, pour raconter une histoire, affecterait de prendre le tour d’imagination de l’enfance et babillerait en zézayant.

Ce n’est pas dans ces auteurs de vies de saints qu’on apprendrait à connaître Madame Louise. Il est juste sans doute que l’église catholique montre sa reconnaissance à la maison de Bourbon en canonisant presque tous les membres de cette famille : après Madame Louise de France, Louis XVI et ses sœurs Clotilde et Elisabeth ; après « l’ange du Carmel, s’écrie le père Regnault, l’ange des Tuileries et du Temple ! » Il n’y a pas jusqu’à Mesdames Adélaïde et Victoire qui n’aient été des « saintes, » au moins pour Chateaubriand. On dira que l’illustre auteur de l’Itinéraire n’est pas un père de l’église. A la bonne heure ; il est pourtant la preuve qu’un bon catholique ne saurait admettre qu’une fille de la maison de France meure sur la terre étrangère sans avoir mérité la palme des martyrs. Combien de temps encore des écrivains comme M. de Beauchesne nous donneront-ils pour des livres d’histoire des contes moraux et édifians ? Je ne sais, mais l’art enfantin des bagiographes modernes n’enlèvera certes pas un trait au portrait de Madame Louise, à ce portrait que nous avons tracé d’après les mémoires du temps. A Fontevrault, c’était une enfant rachitique, moqueuse, volontaire, orgueilleuse ; à la cour, elle fit connaître que dans son corps débile et chétif il y avait un esprit de peu de portée sans doute, mais mobile et subtil comme la flamme ; elle suivait les chasses avec les autres princesses ; plus qu’aucune, elle prenait plaisir à manier un cheval, s’adonnait avec fougue aux exercices violons. Bien que la table de Mesdames fût renommée dans tout le royaume, jamais Madame Louise ne trouvait la chère assez délicate. Voilà en réalité comment à la cour elle se préparait à la discipline et aux macérations du cloître.

Madame Louise était trop de sa famille, elle avait trop du caractère d’Adélaïde et de feu son frère le dauphin pour ne pas chérir les extrêmes. Elle vécut sans nul doute de la dure vie des carmélites ; elle s’ingénia à se nourrir de choses qui lui répugnaient, coucha sur une paillasse, ne voulut dans sa cellule qu’une chaise, un banc servant de table, un bénitier, une croix et quelques images de papier collées au mur. Qu’importe ? Le roi, les princes, Mesdames de France, les ministres, les ambassadeurs, les