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sont conservés aux Archives, ainsi que deux petits cahiers sur lesquels la princesse a de sa main écrit les comptes de sa maison : ce n’est pas ici le lieu d’insister. Quelques mots d’une lettre posthume, adressée par Sophie à Louis XVI, ajoutent un dernier trait, comme une douce lueur d’outre-tombe à cette physionomie étrange, un peu vague et fuyante, mais bonne et tendre : « Ne soyez pas effrayé, mon cher neveu, de toutes ces demandes ; pensez que vous gagnerez encore beaucoup à ma mort ; pensez aussi, je vous prie, à l’amitié dont je me suis toujours flattée que vous aviez, pour moi, mais plus encore à celle que j’avais pour vous, qui était bien tendre, je vous assure. »

Madame Louise ne survécut guère à sa sœur : non que cette mort l’ait affectée plus qu’il convenait à une telle chrétienne ; elle tracassait plus que jamais la cour au nom du ciel, suivant le mot de la petite maréchale de Mirepoix ; elle dénonçait à l’autorité séculière les attentats de l’incrédulité, les outrages à la religion, la licence de la presse. De la petite cellule du monastère de Saint-Denis s’en allaient à chaque heure des courriers qui portaient sur presque tous les points du royaume des exhortations et des avertissemens aux princes de l’église. L’infatigable prieure les conjurait nuit et jour d’arrêter les progrès de l’impiété philosophique et du débordement des mœurs. Ayant peut-être eu vent que l’évêque de Clermont mollissait au sujet de la stricte observance du maigre pendant le carême (je dis peut-être, car elle avait à peine besoin d’un texte pour faire un sermon) : « Ah ! mon père, s’écrie-t-elle, soutenez l’église et l’esprit de l’église ; ne vous laissez point entraîner à une fausse compassion. L’abstinence du carême une fois lâchée ne sera plus rétablie : il en a été ainsi de l’usage des œufs… Il en sera de la suppression du maigre à Clermont comme de celle des fêtes à Paris. M. de Beaumont s’est laissé gagner il y a trois ans, et nous en a ôté quatorze, sous la promesse que la police tiendrait la main à l’observation des autres. Tous les abus ont recommencé avant la première année expirée, et hier, fête des Rois, les boutiques de Paris étaient ouvertes, et l’on criait tout dans les rues. » Elle ne veillait pas d’un œil moins jaloux sur la conduite du clergé régulier. Les religieux carmes de Charenton étaient déchus de leur première ferveur ; elle obtint un bref du pape et fit refleurir dans ce couvent la règle primitive. Quand l’empereur Joseph II, frère de Marie-Antoinette, supprima dans ses états cent et quelques monastères, Madame Louise fit venir en France les religieuses sécularisées des Pays-Bas et reçut à Saint-Denis toute la communauté des carmélites de Bruxelles, « Si mon cher neveu impérial me lisait, écrit-elle à la prieure de Bruxelles, il aurait peut-être envie de me faire