Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 3.djvu/81

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

légitime entre l’homme et l’influence divine. Ce principe peut assurément être contesté ; mais, une fois admis, il faut reconnaître la prudence supérieure du dogme catholique, qui fait dépendre la légitimité sacerdotale du caractère indélébile conféré au prêtre par son ordination régulière plutôt que du degré de sainteté auquel il peut être parvenu. Comment en effet s’assurer dans tous les cas et dans tous les instans de la réalité de cette sainteté personnelle ? S’il est toujours désirable que le bon exemple donné par le clergé confirme indirectement ses prétentions au gouvernement des âmes, s’il est évident que le contraire aura toujours les plus fâcheux résultats, il n’en est pas moins vrai que l’essentiel est de savoir quelle est l’origine proprement dite du pouvoir sacerdotal, et, encore une fois, l’église romaine a eu l’habileté de la fonder sur la seule base qui convienne à un sacerdoce voulant durer. On doit penser qu’en thèse générale le clergé cathare justifia la haute opinion que ses adhérens avaient de ses vertus. Saint Bernard lui-même témoigne en sa faveur, et le succès de sa propagande ne s’expliquerait pas autrement. Quand l’heure de la persécution fut venue, ce clergé, sauf quelques exceptions, fut courageux, désintéressé, héroïque ; mais calomnierons-nous la nature humaine en disant que, si la persécution ne s’était pas élevée, si le nombre des parfaits, évalué par un contemporain à 4,000, avait toujours été en augmentant, on aurait vu plus d’un faux frère se glisser dans la sainte phalange ? Quelques défections éclatantes dont le souvenir s’est conservé, celle entre autres d’un certain Yvon, qui pendant des années se faufila dans les églises cathares dont il devait plus tard être le dénonciateur, celle encore du frère Batherius, qui fut dix-sept ans cathare et parfait, et qui finit par se faire dominicain, prouvent que ce n’est pas là une pure supposition. C’est la destinée de toutes les sociétés ascétiques, qu’elles soient brahmanes, bouddhistes, musulmanes ou chrétiennes. Le premier mouvement de ferveur passé, l’orgueil, l’intérêt, l’ambition, la sensualité, rentrent peu à peu par mille canaux subtils dans le domaine qu’on avait cru leur fermer à jamais, et il n’est pas facile de les en éliminer. Les sacerdoces, une fois constitués et en possession du pouvoir, n’abdiquent pas volontiers. Ils se retranchent derrière les habitudes prises, les formes rituelles, le prestige des traditions, la régularité de la succession. Tôt ou tard on aurait donc vu le sacerdoce cathare tomber dans les mêmes défauts que ceux qu’il reprochait si amèrement à la hiérarchie romaine, avec cette différence à son désavantage, qu’il aurait été plus infidèle encore que celle-ci à son principe vital, à la seule chose qui fît sa raison d’être.

Nous n’avons rien dit d’un élément qui joua un grand rôle dans