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La constitution lévitique du clergé l’avait amené à des habitudes qui ne peuvent disparaître en quelques années. A la faveur de l’hérédité du sacerdoce, tendait à s’établir l’hérédité des fonctions et des emplois ecclésiastiques. Le pope cherchait naturellement à transmettre sa paroisse à l’un de ses enfans ; la cure du père était l’héritage du fils, plus souvent elle était la dot de la fille. Les paroisses tendaient ainsi à devenir une sorte de fief privé, de propriété des prêtres. Il s’en fallut de peu que le clergé ne se fît reconnaître ce droit de succession : plusieurs des principaux prélats de la Russie en combattirent vainement l’exercice au XVIIIe siècle[1]. La coutume était pour les prétentions du clergé. D’ordinaire, pour entrer en possession d’une cure, le candidat devait épouser une des filles de son prédécesseur mort ou retiré ; le plus souvent l’évêque ne le nommait qu’à cette condition. Il y avait pour cela deux raisons. En perdant son chef, la famille d’un pope tombait le plus souvent à la charge de l’église et de l’état, qui s’en déchargeaient volontiers sur le nouveau curé. Ensuite peu de presbytères appartenaient à la commune ou à l’église ; il y avait un champ affecté aux besoins du pope, mais la maison qu’il y construisait était son bien, elle faisait partie de sa succession ; pour en prendre possession, le nouveau-venu devait se mettre d’accord avec la famille de son prédécesseur et lui proposer un dédommagement. L’arrangement le plus simple était, en entrant dans la maison, d’entrer dans la famille. Le second mariage étant interdit aux femmes de popes comme aux popes eux-mêmes, et, ceux-ci ne pouvant épouser qu’une vierge, il n’y avait point à songer à une union avec la veuve du défunt. C’était donc par un mariage avec une des filles et une pension à la veuve ou aux autres enfans que se réglait le plus souvent la transmission des cures. On évitait ainsi les querelles et les procès, et, pour y couper court, l’autorité avait encouragé ce genre de solution. Les séminaristes n’étant promus au sacerdoce qu’après leur mariage, c’était avant leur ordination qu’ils devaient s’assurer d’une fiancée en même temps que d’une paroisse. Aussi le principal but des jeunes gens désireux d’entrer dans le clergé séculier était-il de chercher une héritière dont la main leur pût apporter une église. La coutume d’arriver aux cures par un mariage ou un marché était si générale qu’il a fallu une loi pour défendre d’en faire une obligation. Ce n’est qu’en 1867 qu’il a été interdit d’exiger pour la collation d’une cure que le candidat entrât dans la famille de son prédécesseur ou lui servît une pension. Cette loi est excellente ; elle ne

  1. Voyez Mgr Philarète de Tchernigof, Istoriia rousskoï tserkvi, Ve période : l’Administration ecclésiastique, 3° la Hiérarchie et les éparchies.