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le dimanche à l’église ; ce n’est pas encore, comme le pasteur anglais ou américain, un homme instruit, un docteur recevant d’une société opulente et cultivée un traitement honorable. Si l’on analyse toutes les dépenses d’une famille de pope de campagne, on est étonné de l’industrie qu’il lui faut pour vivre. Nous avons ce budget tracé par un prêtre russe[1] : les différens chapitres de dépenses, la nourriture, le vêtement, la toilette de la femme et des filles, la pension des fils au séminaire, forment pour sept ou huit personnes le modeste total d’environ 600 roubles (2,400 francs). Les recettes demeurent souvent bien en-deçà. Pour mettre ce maigre budget en équilibre, l’auteur anonyme supprime un à un tous les objets de luxe, le sucre, le thé, puis la viande et la farine de froment, puis l’entretien de la vache. Avec ces retranchemens sur la nourriture et l’éducation des enfans, il en vient à un maximum irréductible de 407 roubles (1,600 francs) pour toute une famille obligée à une existence décente.

Le malaise matériel et moral d’une telle situation retombe sur la famille du prêtre et dégrade en elle la profession sacerdotale. Jetons un coup d’œil sur les différens membres de cette maison qui doivent perpétuer le clergé ou transporter avec eux dans la société civile l’esprit de la caste cléricale. C’est d’abord la femme du prêtre, la popesse. Elle a d’ordinaire une grande influence dans le presbytère ; c’est souvent par elle que le pope a obtenu sa cure, et, s’il perd sa femme encore jeune, le curé est exposé à perdre du même coup son église. « Heureuse comme une popesse, » dit un proverbe par allusion aux soins qui doivent entourer une femme de la vie de laquelle dépend toute la carrière du mari. Triste bonheur souvent ! si le pope a encore quelques bons jours, quelques honneurs ou quelques réjouissances, sa popesse y a rarement part. Son éducation et le poids des soins domestiques lui permettent encore moins de seconder ou d’encourager le prêtre dans les travaux de son ministère, dans les œuvres de piété et de charité. Entre elle et lui se voit rarement cette sorte d’union ou de coopération religieuse qui se rencontre souvent parmi les ménages de pasteurs protestans, et qui, faisant de la femme l’aide et l’associée du mari, double les forces et les facultés de l’un de celles de l’autre : entre le pope et sa femme, pour peu que le premier ait rapporté quelque instruction du séminaire, il n’y a point d’intimité morale ni d’harmonie intellectuelle, ou, s’il y en a, c’est que le mari s’abaisse au niveau de la femme. L’infériorité de l’éducation des femmes est une des grandes causes de l’isolement social du clergé : telle maison qui pourrait

  1. Opisanié Selskago Doukhoventsva, p. 159.