Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 3.djvu/949

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

foi ; jusqu’alors ayons au moins cette pudeur de ne pas venir assiéger de nos misérables protestations et de nos sottises le musicien ou le peintre qui, dans un milieu d’universelle indifférence, ne prend conseil que de son tempérament pour traiter un sujet de sainteté. L’art religieux vit surtout de l’atmosphère ambiante du siècle qu’il décore et qu’il éternise. Il est un harmonique : architecture, musique, peinture, tout se tient. Qui veut connaître et comprendre le Giotto, le Pérugin, Raphaël, fra Angelico, doit aller à Rome, à Parme, à Florence, à Pérouse, à Mantoue, à Sienne : on n’entend Palestrina et Allegri que dans la chapelle Sixtine. Il semble que cette musique-là fasse partie intégrante du monument et pas plus que les fresques ne pourrait en être détachée. Or les fresques ne voyagent pas, ne déménagent pas ; ce qui voyage et déménage, c’est notre art d’aujourd’hui. Cosmopolite, sceptique en même temps que pourvu de facultés d’exécution incomparables, celui-là s’accommode aussitôt de l’emplacement qu’on lui offre, le dôme de Milan comme la salle de l’Opéra-Comique, tout lui est bon. Les anciens maîtres, avant de peindre un tableau, s’informaient de la destination ; autre chose était pour eux de peindre pour la galerie princière d’un palais ou de peindre pour le réfectoire d’un couvent. Nous autres, l’exposition seule nous préoccupe, disons mieux, les expositions, car nous savons que notre œuvre, après avoir diverti la grande ville intelligente, ira poursuivre sa fortune dans toutes les capitales de l’Europe et du Nouveau-Monde, — et c’est à cet art qu’on vient demander du recueillement. Demandez-lui de la couleur, de l’intérêt, de la curiosité, du drame et du spectacle, et s’il a de quoi vous répondre, il aura bien mérité de la vie moderne.

L’idée qu’on se fait parmi nous du sentiment religieux est quelque chose de si indéfini, de si vague, qu’il n’y a point à la discuter sérieusement. Les uns le placent dans la fugue ; mais pour la majorité il réside dans l’absence de coloris, de mouvement et d’originalité. À ce compte, la messe de Verdi serait l’œuvre d’un fier hérétique, car la chaleur vitale y circule à pleines effluves, et l’intérêt, l’émotion qui vous prennent, vous empoignent dès les premières mesures, ne vous lâchent plus jusqu’à la fin.

Je ne sais si c’est mal, tout cela, mais c’est beau !


L’inspiration jaillit par éclairs pressés et fulgurans, et le style se comporte comme il sied à quelqu’un qui se respecte et prétend à bon droit être respecté. Cette musique-là parle la langue de son temps, les sonorités, les modulations y sont à toute puissance, et la fugue du Sanctus non moins que la fugue finale du Libera désarmeraient Cherubini lui-même, monsieur Cherubini, comme disent en ôtant leur chapeau les fidèles du Conservatoire ! C’était bon jadis de s’égayer à propos du style des Lombardi et du Trovatore ; mais depuis Don Carlos la plaisanterie avait beaucoup perdu, et ceux qui chercheraient à la réchauffer maintenant n’auraient