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les autres, ayant des amours, des répulsions, des indifférences, passant du mariage au divorce, du divorce à de nouveaux mariages, nous donnant en un mot le spectacle de choix aveugles, mais précis et infaillibles, qui rappellent la mécanique des passions, lorsque la volonté n’intervient pas pour en gouverner le jeu, au point qu’un grand poète n’a eu pour ainsi dire qu’à retourner la métaphore et appliquer à la psychologie la langue chimique tirée de la psychologie même pour nous peindre, dans ses Affinités électives, le tableau subtil et médiocrement intéressant, mais savamment étudié, de cette chimie des âmes, où les combinaisons s’appellent amours, et les dissociations rupture et oubli.

Ce que Newton avait fait pour la mécanique céleste, Berthollet pour la chimie, Haller le fit pour la physiologie, et l’irritabilité parut une propriété de la matière vivante, aussi irréductible que l’attraction universelle ou l’affinité chimique. Enfin, sans insister sur un point que l’histoire des sciences démontrerait solidement, on peut dire que tout le travail du XVIIIe siècle a été de multiplier les forces, comme celui du XVIIe siècle avait été de les réduire. En même temps qu’on multipliait les forces, on multipliait aussi les agens, et les substances occultes appelées fluides croissaient dans la même proportion que les causes occultes. Sans doute les vrais savans ne s’y trompaient pas ; mais il est impossible à l’esprit humain d’employer des mots sans y attacher des idées, et sans finir par en substantialiser l’objet. Aussi, quoique la science dans sa partie expérimentale et phénoménale fût de plus en plus exacte et rigoureuse, elle tendait à retourner dans sa partie théorique et hypothétique à l’ontologie abstraite des scolastiques. Le nombre des forces allait toujours croissant, et c’était à qui en découvrirait une nouvelle[1].

Tel était l’état de la science dans la première partie de notre siècle ; bientôt un mouvement en sens inverse allait commencer, longtemps ignoré et mal compris de ceux-là mêmes qui en étaient les promoteurs, mais qui est devenu aujourd’hui manifeste aux yeux de tous, au point que l’imagination impatiente anticipe bien au-delà de ce que l’expérience a révélé, tel cependant qu’il ne peut être contesté par personne. Cette tendance, c’est la réduction, la simplification

  1. Voyez la Physique de Biot (Paris 1816) et même, beaucoup plus récemment, la Chimie de Pelouze (1850). — Voici par exemple, suivant ce dernier, les forces qui se manifestent dans les actions chimiques. Il y en a de trois sortes : les forces chimiques, les forces physiques et les forces mécaniques. Les forces chimiques sont la cohésion et l’affinité. L’affinité est de deux sortes : l’affinité simple et l’affinité d’antagonisme. — Celle-ci se divise en force comburante et force combustible, force acide et force alcaline. Les forces physiques sont : la force expansive de la chaleur, la force électro-positive et électro-négative, la lumière, une force inconnue agissant au contact. Les forces mécaniques sont : la force de division, la force de compression et la force de pesanteur.