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Pompéi et à Herculanum des tableaux grecs ? Ils étaient fort rares, ils atteignaient un très haut prix. Les riches Romains ressemblaient à plus d’un amateur contemporain : ils n’avaient des œuvres d’art que pour qu’on en parlât. Il est donc à supposer qu’ils préféraient laisser à Rome, où chacun les voyait, leurs tableaux de maîtres, que de les exiler dans leurs villas de la Campanie. Quant aux Campaniens, ils n’étaient pas assez riches pour acheter de telles choses. Un Pompéien pouvait bien donner quelques as d’argent à un peintre de l’école de Ludius qui avait décoré son atrium ; mais pouvait-il surenchérir sur l’empereur Tibère et payer six millions de sesterces l’Archigalle de Zeuxis ? À Rome, dans les belles fouilles du Palatin, on aurait pu s’attendre avec plus de raison à découvrir quelques œuvres de maîtres, puisque Pline et Suétone parlent des tableaux du palais, ou, à mieux dire, de la ville des césars. Il y avait là le Héros de Timanthe, la Vénus Anadyomène et deux Alexandre d’Apelles, plusieurs compositions licencieuses de Zeuxis et son Archigalle, l’Artamènes d’Aristide, l’Ialyse de Protogènes ; mais ces peintures étaient toutes sur panneaux de cèdre ou sur panneaux de mélèze, car il est douteux que les Romains aient jamais enlevé de Grèce des pans entiers de murailles peintes. Le bois s’est pourri, et ainsi s’est évanoui l’œuvre d’Apelles, tandis que, grâce à la muraille avec laquelle il fait corps, le travail hâtif d’un décorateur romain s’est conservé dix-neuf siècles. La matière a vaincu le génie.

On ne possède que les peintures des artistes romains et des artistes hellènes de l’extrême décadence émigrés en Italie. Si malheureusement on n’avait aussi que les marbres et les bronzes des sculpteurs romains, pourrait-on se figurer la Vénus de Milo, les Lutteurs de la Tribune, la Vénus du Capitole, le Strigille, le Torse Farnèse, l’Éros attribué à Praxitèle, la Psyché, l’Illisus, le bas-relief de la Victoire Aptère, la frise des Panathénées ? Pour cela, devrait-on qualifier d’hyperboliques les louanges que Platon, Aristote, Cicéron, Quintilien, Vitruve, Lucien, prodiguent aux statuaires grecs ? Il faut se garder d’oublier que ces grands esprits ne sont pas moins enthousiastes quand ils parlent des tableaux de Polygnote, de Zeuxis et d’Apelles, que lorsqu’ils citent les statues de Phidias, de Polyclète et de Praxitèle. C’est donc bien plus par un seul marbre grec qu’on jugera du génie des peintres de la Grèce que par toutes les peintures romaines du Vatican, de Pompéi et du musée de Naples.


HENRY HOUSSAYE.