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Comme un loyal chevalier qui accomplit un vœu, Gil Eannez va fermer les yeux au péril ; il a promis à son maître de venir à bout de son aventure. L’année 1434 ne s’écoulera pas sans qu’une barque portugaise soit parvenue à passer de l’autre côté du terrible cap africain. Quand ce mur est tombé, qu’a-t-on aperçu au-delà ? Une côte plus aride et plus désolée encore que celle qui s’étend entre le cap Bojador et le cap Noun, un océan de sable terminé par des bords abrupts, un plateau d’où ont disparu les dernières broussailles et que nivellent incessamment les vents du désert.

Dans son impatience d’apporter au prince Henri la nouvelle d’un succès presque inespéré, Gil Eannez n’avait dépassé le cap Bojador que de 30 lieues à peine. En 1435, c’est 12 lieues plus loin, — 12 lieues seulement, — qu’il s’arrête. En 1436, nouvelle expédition. On ira cette fois 120 lieues plus au sud ; c’est toujours du sable, toujours des falaises et des dunes qu’on rencontre ; partout un rivage inabordable. Enfin, sous le 24e degré de latitude, les capitaines du prince Henri ont découvert un port. Ils franchissent la barre du Rio de Ouro, et pour la première fois on peut communiquer avec des habitans. La ville de Lisbonne verra de l’or d’Afrique rapporté par ses caravelles. La navigation vers le sud en reçoit une nouvelle impulsion. Enhardis par leurs communications de jour en jour plus fréquentes avec les Açores, les pilotes ont complètement modifié leurs allures. Ils se cramponnaient autrefois à la terre ; ils la lâchent aujourd’hui des deux mains. Les promontoires s’effacent l’un après l’autre. On vient à peine de dépasser le Cap-Blanc que déjà d’autres navires signalent l’embouchure du Sénégal. En 1447, on se trouve à la hauteur du Cap-Vert. Il a fallu trente-deux ans d’efforts, l’armement de cinquante et une caravelles pour en arriver là ; mais c’en est fait désormais des appréhensions chimériques. On peut revenir du pays des noirs ; la zone torride ne consume pas ceux qui la visitent. Quand le prince Henri mourut en 1463, sa persévérance avait donc été couronnée d’un plein succès. Les Portugais n’avaient pas encore touché le rivage des Indes ; l’académie de Sagres leur en avait ouvert et jusqu’à un certain point aplani la route.

Le roi Jean II, « le plus grand roi, suivant l’expression du vieux cardinal d’Alpedrinha, qui soit né du meilleur des hommes, » monta sur le trône en 1481. Les îles du Cap-Vert, la rivière de Sierra Leone, le golfe de Bénin, Fernando Po, San-Thomè, Annobon, l’île du Prince, étaient déjà connus. Les Portugais se sont établis à El-Mina et dans l’île d’Arguin ; le roi de Portugal et des Algarves est en même temps le seigneur de Guinée. Parvenus aux dernières limites de notre hémisphère, les Portugais n’osaient pas toutefois aborder l’hémisphère austral. Une grave considération les retenait