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Il en est résulté dans la marine française un retour assez vif vers la pratique des observations astronomiques. Ce qui s’était produit aux premières années de la restauration s’est de nouveau produit après nos récens malheurs. Cette fois surtout il y avait urgence. Quand on ne veut pas interrompre sa course, il ne faut pas uniquement compter sur le soleil. Les étoiles ont été de tout temps difficiles à observer, car le bord de l’horizon vers lequel l’instrument à réflexion les ramène est rarement la nuit bien nettement tracé. Nos officiers sont venus à bout de vaincre cet obstacle. Les uns ont perfectionné leurs instrumens, d’autres se sont contentés de perfectionner leur pupille. Quoi qu’il en soit, il est certain qu’aujourd’hui la plupart de nos capitaines aiment autant atterrir sur des observations de nuit que sur des observations de jour.

La marine à vapeur, on le voit, a bien ses mérites. Sans doute la marine à voiles, la marine d’autrefois, n’a pas cessé d’être le regret de ceux qui l’ont connue, — et ils l’ont connue à l’heure bénie de la jeunesse. C’était si beau, ces flancs à trois étages garnis de cent vingt canons, ce nuage de voiles, ces 1,100 hommes rangés sur les bras, sur les amures ou sur les écoutes, ce navire qui ployait sous la brise, cette voix tonnante qui dominait l’orage et enlevait les cœurs ! Aujourd’hui on commande dans un tube de caoutchouc, on fait signe de la main aux timoniers qui tiennent le gouvernail. Plus de pompe, plus d’apparat, plus d’activité, — du silence. Et cependant il est difficile de se défendre d’une certaine impression quand on monte sur nos nouveaux navires. Aussitôt on y a le sentiment, je dirai plus, la sensation de la puissance. S’il est quelque chose de disgracieux au monde, c’est assurément une escadre cuirassée. Ne la jugez pas en rade ; l’immobilité lui sied peu. Attendez qu’elle ait pris la mer, qu’elle ait, près de la côte, quelque brise violente à refouler ; vous serez surpris du majestueux dédain qui fera devant elle reculer la rafale. L’a-t-on rangée en ordre sur une ou plusieurs files, ses vaisseaux bien dressés garderont fidèlement leurs distances et leurs intervalles ; vous pourrez sans crainte circuler dans leurs rangs, serpenter avec assurance de l’un à l’autre. Une pareille escadre forme un bloc qui se meut. On sent que, si elle se précipitait en avant, rien ne l’arrêterait, il faudrait lui livrer passage. Et pourtant, à un signal donné, on l’a vue plus d’une fois s’arrêter court d’elle-même, s’arrêter frémissante comme un cheval qui se cabre sous le mors et ploie sur ses jarrets. Pour la figer en quelque sorte sur place, il suffit qu’un pavillon, ce pavillon que vous voyez là-haut flotter sous la girouette, descende brusquement. Dès qu’il aura quitté la pomme, du bossoir de chaque vaisseau tombera une ancre. L’escadre est mouillée, et chaque vaisseau est à son