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dont ils vivaient, disaient que c’était un mauvais moment à passer, quelque cinquante mille hommes à sacrifier, après quoi l’horizon serait éclairci, et qu’alors reprendraient les affaires ; mais c’étaient de rares exceptions, et, je le répète, la France ne voulait pas la guerre. C’est un parti aveuglé par son ambition et par son ignorance qui seul l’a voulue, nous l’a donnée, et nous a perdus. » Cependant il fallait le vote de la chambre pour les subsides, et la chambre pouvait tout arrêter ; elle pouvait, elle devait surtout contrôler, car il s’agissait d’abord de savoir si véritablement notre ambassadeur avait été l’objet d’une insulte, d’une insulte voulant la guerre. « Convaincu, ajoute M. Thiers, qu’on nous trompait, je demandai la production des pièces sur lesquelles on se fondait pour se dire outragé. J’étais sûr que, si nous gagnions vingt-quatre heures, tout serait expliqué et la paix sauvée. On ne voulut rien entendre, rien accorder. Je fus insulté de toutes parts, et les députés des centres, si pacifiques les jours précédens, intimidés, entraînés dans le moment, s’excusant de leur faiblesse de la veille par leur violence d’aujourd’hui, votèrent cette guerre, qui est la plus malheureuse certainement que la France ait entreprise dans sa longue et orageuse carrière. » Kant avait donc raison lorsqu’il demandait avant toute chose, pour chaque état, des institutions véritablement représentatives, il disait même républicaines, sans attacher à ce mot le sens qu’il a pour nous en matière politique, — ceci pour dire que les guerres en définitive se font souvent sans motif suffisant et au mépris des intérêts des peuples. Quand elle supprimait la délégation pour les déclarations de guerre, que redoutait à son tour la convention, si ce n’est des assemblées muettes et dociles comme le sénat du premier empire, si ce n’est des votes comme celui qui a décidé de la dernière guerre ? Ne rejetons point de tels avertissemens ; nous n’avons pas le droit en pareil cas de traiter trop légèrement les conceptions de la violente assemblée.

Nous devions dès l’abord signaler les publications qui ont répandu en Europe les premières notions de l’arbitrage, et inspiré à des degrés divers toutes celles qui ont suivi. Arrivons aux sociétés, aux ligues et aux congrès qui, par leur active propagande et l’influence d’un infatigable patronage l’ont introduit dans le règlement des difficultés et des contestations internationales.


II.

Ce fut au lendemain des sanglans combats du premier empire que, par un mouvement spontané, se forma contre la guerre la ligue des hommes de bien, qui dure encore. Dès 1815, la secte des quakers fondait à New-York une Société des amis de la paix. L’année