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président de la république n’a pas été le dernier à sentir la nécessité, et que certaines fractions monarchistes de l’assemblée ne lui ont refusée jusqu’ici qu’en méconnaissant les intérêts conservateurs les plus évidens, en tenant peu de compte de la dignité de M. le maréchal de Mac-Mahon lui-même.

Les philosophes, les rêveurs qui ont prétendu bannir l’esprit militaire et les armées permanentes des affaires du monde, ont bien pris leur temps, jamais les armées n’ont eu un plus grand rôle, et c’est par la puissance d’organisation, par une longue et méthodique préparation, qu’elles peuvent être efficaces. Quelles que soient les conditions dans lesquelles elles ont à se déployer, les forces militaires ne s’improvisent pas, et les luttes sont d’autant plus meurtrières, d’autant plus ruineuses, qu’on arrive moins préparé à l’heure où les conflits deviennent inévitables. C’est l’histoire de toutes les guerres, même de cette guerre américaine dont M. le comte de Paris a entrepris le véridique et intéressant récit.

Lorsque les États-Unis, il y a treize ans, se voyaient tout à coup précipités dans cette effroyable crise de la sécession, ils n’avaient qu’un noyau d’armée régulière, quelques institutions modèles, des cadres insuffisans, une élite d’officiers. Tout était à créer, à organiser. C’était, il est vrai, une guerre civile engagée dans des proportions exceptionnelles, démesurées, et les Américains ne tardaient pas à montrer ce que peut une race virile aiguillonnée par le sentiment d’un grand danger national ; mais enfin, pour n’avoir pas pu étouffer la rébellion du sud à sa naissance, on était réduit à la suivre sur cent champs de bataille depuis la première déroute de Bull-Run jusqu’aux gigantesques actions de Richmond, où celui qui est encore aujourd’hui président des États-Unis, Grant, finissait par arracher la victoire à l’intrépide Lee. Pour arriver à dominer la terrible crise, il fallait cinq ans de luttes, d’épreuves, d’incessantes improvisations militaires, de prodiges toujours nouveaux, et ce qu’il y avait à dépenser pendant ces cinq ans eût suffi à l’entretien d’une armée permanente depuis un demi-siècle. Que Mac-Dowell, envoyé le premier au combat sur le Bull-Run, eût conduit 40,000 vrais soldats à l’assaut du plateau de Manassas, ni Beauregard, ni Jackson, qui gagnait ce jour-là son surnom de Stonewall, « mur de fer, » ni Johnston, n’auraient tenu devant lui, et l’armée sécessioniste était peut-être dispersée à la première affaire. Une victoire opportune pouvait détourner ce conflit de cinq ans ; la défaite de Bull-Run déchaînait fatalement cette guerre civile que M. le comte de Paris raconte avec la sérieuse conviction d’un esprit éclairé et libéral, avec l’autorité d’un homme qui a vu se dérouler sous ses yeux ce grand drame militaire, avec le sentiment d’un bon Français qui a servi lui-même en volontaire dans cette armée américaine où il allait retrouver les souvenirs de Lafayette.

Certes elle est maintenant bien loin de nous, cette lutte américaine,