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la plus défavorable. Ce qui est réel, c’est que la décence publique a eu la puissance de bannir en quelque sorte d’Angleterre les deux poètes qui par leur génie éblouissaient le plus les imaginations, Byron et Shelley, c’est qu’elle a encore le pouvoir de mettre hors la loi quiconque la brave. Un homme ne pourrait pas vivre avec une femme de rencontre sans que ses domestiques lui demandassent leur compte, et un pareil couple serait exclu des quartiers respectables de Londres. Il n’y a pas à s’en étonner. Les domestiques ne trouveraient plus à se placer convenablement si on savait qu’ils ont servi une femme suspecte, ils perdraient caste, et les habitans d’une rue, c’est-à-dire en général d’une rangée de maisons appartenant toutes au même propriétaire, menaceraient de déménager, s’il permettait que la rangée acquît un mauvais renom. Cela ne signifie pas que la vertu et la chasteté habitent seules Londres ; mais le désordre aussi y subit la loi de l’opinion publique : il est parqué dans certains quartiers.

Ai-je besoin d’ajouter que cette discipline fait en quelque sorte la boule de neige ? Forcément l’éducation de famille s’en ressent. Le père, qui sous la pression de la société a pris l’habitude de se dicter une loi à lui-même, emploie son esprit de suite et de commandement à rendre ses enfans capables aussi de se dominer, de n’agir qu’après avoir considéré ce qui leur est permis ou défendu. Il leur transmet sous forme de principes de conduite la méthode que sa prudence et son amour jugent la plus propre à les sauvegarder dans la vie. L’école et les mœurs des écoliers obéissent à la même influence. L’église transporte dans sa doctrine la même préoccupation. Dans une société où le plus étourdi est forcé d’apprendre que son premier intérêt est non pas de chasser au plaisir, mais bien d’éviter de se mettre en désaccord avec la force irrésistible des autres volontés, la religion naturellement conçoit d’une manière analogue la fonction de l’homme vis-à-vis du maître de l’univers. Si elle n’enseigne pas la doctrine du salut par les œuvres, ou en d’autres termes par des actions enjointes que chacun doit accomplir malgré sa volonté, elle pèse sur les individus pour leur donner le sentiment de la responsabilité personnelle et la volonté de s’imposer eux-mêmes des obligations. Elle leur apprend que le devoir religieux aussi consiste pour chacun à ne pas céder à ses penchans et à se faire une loi d’obéir à sa conscience.

Quant à la presse, c’est-à-dire quant à l’organe par lequel s’exprime l’opinion publique et par lequel se forme l’opinion générale, il suffit de lire un journal anglais pour voir que son objectif est plutôt encore de surveiller les esprits que de critiquer les mesures. À l’égard des questions de salaire par exemple, il est impossible